conversation
conversation
VICTOR CADENE
artiste, designer.
Avec comme point de départ le dessin, Victor Cadene explore diverses techniques comme le collage, la tapisserie ou encore l’émaillage.
En invoquant des symboles universels à travers ses oeuvres, l’imagerie de Victor réveille des souvenirs d’enfances et de rêveries laissant libre court à l’imagination.
Nous nous sommes retrouvées dans son atelier semblable à un écrin, rue de la Chaise, où nous avons parlé d’artisanat, de récits personnels, du mouvement artistique des Nabis, de l’ennui et des émotions que peuvent soulever les arts.
Entre autres...










Lia : On se retrouve dans ton atelier, ton écrin, rue de la Chaise.
Victor : Je le considère comme un atelier et non comme un showroom. Bien entendu, c'est important pour moi que le lieu soit harmonieux. On s'attend toujours à ce qu'un atelier soit un espace couvert de traces de peintures mais ma technique manuelle est plutôt délicate et non salissante. C'est mon espace de travail, où je peux développer et montrer tous mes savoir-faire. C’est aussi un lieu de rencontre ouvert sur rendez-vous.
Lia : En tant qu’artiste, tu explores plusieurs techniques, peux-tu m'en parler ?
Victor : Tout part du dessin, c'est le point de départ de mes créations et de mes collaborations. Depuis trois ans, je m'intéresse à de nouveaux savoir-faire comme la tapisserie d’Aubusson avec les ateliers Robert Four et depuis peu avec l'émaillage sur pierre de lave avec l’atelier Studio Ler. Ces deux techniques me passionnent, j'ai envie d’expérimenter différentes applications. Depuis peu je développe des coffrets, des cheminées …
Lia : Quand j'ai découvert ton travail, tu réalisais des collages à partir de tes dessins, des éléments que tu assembles les uns aux autres.
Victor : Oui, l’appellation "collage" m'a parfois porté défaut parce que les gens pensaient que je découpais des choses déjà existantes. Si c’était le cas j’aurais eu beaucoup de chance de trouver autant d'éléments qui s'harmonisent ! (rires) En ça, le collage est une étape secondaire dans mon processus créatif car chaque élément est tout d'abord dessiné puis rehaussé à la couleur.
Lia : Nous avons une approche très différente du collage. En cela, il s'agit vraiment d'une technique aux multiples possibilités. On assemble des éléments ensemble. D'ailleurs, tu te définis aussi en tant qu'ensemblier ?
Victor : Oui, ensemblier parce que je compose. Avant que ma carrière artistique s’ouvre à moi, je travaillais principalement sur des projets d'architecture d'intérieur, de sourcing mobiliers, de décoration. J’ai toujours eu un intérêt pour les arts décoratifs. On peut y puiser plein de choses, j'aime la définition du décorateur au siècle dernier pas comme on l’entend aujourd'hui mais plutôt comme un artiste artisan qui est en capacité de créer de grands décors au service de l’architecture : des plafonds, des fresques, des tapisseries...
Lia : Aujourd'hui, quel que soit le médium, la technique, on reconnait ta signature, par les teintes, les éléments, l'atmosphère générale.
Victor : Oui j’ai à cœur de garder une ligne directrice à travers mes différents savoir-faire. Mais cela se fait naturellement, instinctivement. Les nouveaux savoir-faire me permettent de retranscrire mon identité au service de la technique. Ce qui me plait aussi, c'est de pouvoir être dans l'apprentissage. Aller à Aubusson pour choisir les laines, retranscrire l'ombre que l'on trouve dans mes collages, le travail du point, le travail du papier marbré, même chose avec la pierre de lave, l'émaillage... Il nous a fallu huit mois de recherches pour trouver une gamme de couleurs fidèle à ma colorimétrie habituelle.
Lia : C'est une manière de te renouveler, de te réinventer tout en gardant un univers identifiable. As-tu été en école d'art ?
Victor : Je suis autodidacte. Ce sont les autres qui ont porté un regard sur ce que je considérais comme une petite parenthèse dans mon quotidien, c'est grâce à eux que j'ai commencé à développer mes œuvres. Je n'aurais jamais pensé que dans la trentaine j'allais vivre de mon art, aujourd’hui encore cela me met en joie.
Lia : C'est encore plus beau sans préméditation !
Victor : J’attache une importance à la sincérité. On perçoit quand un travail l’est. C'est ce qui se transmet sans être verbalisé, comme une aura qui véhicule autour et qu'on peut capter.
Lia : L'insaisissable ! Quand on plonge dans ton univers, il y a quelque chose d'onirique, d'émouvant, tu mêles la nature avec l'architecture, le mobilier. Ça me fait penser à des livres d'enfants en pop up qui dissimulent plusieurs dimensions. On a envie de se miniaturiser et d'explorer les surfaces.
Victor : Je m’inspire de symboles de notre culture, de l'histoire de l'art que j'organise à travers des éléments pour en faire un nouveau récit personnel. C'est un langage commun, on perçoit des symboles auxquels tout le monde peut s’identifier. Pour moi, l'art doit créer une émotion et permettre une lecture propre à chacun.
Lia : Je te rejoins là-dessus. Ne trouves-tu pas que depuis une décennie, on recommence à accepter la sensibilité, l'émotion face à l’art ?
Victor : Oui, on assiste à un retour. Tu ne penses pas que c'était dû à un diktat de l'art conceptuel qui considérait les arts décoratifs comme désuet ? Les gens ont besoin de revenir à des formes plus sensibles.
Lia : Oui, il y avait un snobisme pour les arts "non conceptuels", surtout en France, comme s'il fallait justifier un certain intellectualisme au détriment de la sensibilité.
Victor : On a l'impression que c'est propre à notre époque mais quand on pense au mouvement Nabi, ils avaient été snobés car considérés comme trop décoratifs. C'est le mouvement Nabi qui m’inspire.
Lia : Je reviens toujours à Cocteau, on le considérait comme un touche à tout, et aujourd'hui, on voit des descendants de Cocteau inonder la toile des internets !
Victor : On y revient toujours cocteau, un artiste pluri-disciplinaire, Christian Bérard était également un artiste qui me touche, il pouvait dessiner une robe pour Dior, une scène de théâtre, un décor pour Guerlain, des paravents pour Jean-Michel Frank et ça ne l'a pas empêché de rester dans l'histoire. Dans des moments de crise comme la nôtre, les gens sont rassurés par le fait de poser une étiquette sur une personne.
Lia : Enfant, as-tu baigné dans les livres, les contes ?
Victor : Non, j’ai surtout été baigné dans mon imaginaire, j'ai grandi en Ardèche, dans un village isolé de 200 habitants. En CP nous étions deux !
Lia : Incroyable !
Victor : Enfant, j’étais assez solitaire. Je crois que l'ennui m'a permis de me créer un monde intérieur qui m'est propre. Mes parents m'emmenaient régulièrement dans les musées. Il y a eu quelques visites qui m'ont marqué. Mais enfant, j’étais principalement dans ma tête, à imaginer des scénarios. J'aurais pu faire du cinéma !
Lia : La vie est longue, qui sait ?!
Victor : Oui… J’ai continuer à acquérir un bagage culturel, au fil des rencontres. Je pense que c'était une chance, être autodidacte m’a permis de me nourrir de mes propres références.
Lia : Je te rejoins complètement sur la nécessité de l'ennui pour se construire un imaginaire. Ton univers me fait penser à William Morris, en tant qu'art de vivre total.
Victor : J'aime l'idée de créer une atmosphère. Tu parlais de la végétation dans mon travail, c'est arrivé très tardivement. Au début, je ne dessinais que des intérieurs, dans l'incapacité même de dessiner une plante. Et il y a trois quatre ans, J’ai été appelé par Michele de Lucchi, conservateur et curateur italien, il travaillait pour l'exposition Homo Faber à la Michelangelo Foundation. Il m'a proposé de faire un triptyque en lien avec le jardin d'Eden. Je ne savais dessiner que des lampes, des fauteuils, des éléments d'arts décoratifs. J'ai passé un été entier sur ce triptyque, ça été une révélation.
Lia : C'est intéressant par rapport à ce que tu racontais de ton enfance en Ardèche,alors que tes sujets de prédilections étaient plutôt accès sur l'intérieur, il aura fallu une rencontre pour révéler un lien avec la nature dans ton travail pictural. Qui aujourd'hui apparaît comme une évidence !
Victor : Une rencontre, un échange. Pour revenir à mon lien avec l'artisanat, c'est aussi mon lien avec les autres. Le travail d'artiste étant un travail solitaire, travailler avec des artisans, c'est une manière d'échanger. Je suis persuadée que c'est en échangeant qu'on arrive à faire évoluer son art.
Lia : Absolument, échanger avec les autres, c'est une manière de sortir de sa zone de confort, une manière de se dépasser. Certaines rencontres nous bousculent et nous amènent vers une évidence qu'on ne soupçonnait pas. La vie est ponctuée de hasards.
Victor : Le hasard n'existe pas. C’est amusant, quand on doute de ses capacités mais que pour les autres c'est une évidence. Michele de Lucchi était convaincu que le jardin d'Eden pourrait être retranscrit dans mes œuvres, Aubusson convaincu que mon art pouvait se décliner en tapisserie, Hermès que j’étais capable de faire des vitrines… J’ai aussi changé de proportion, de taille dans mes œuvres. Pendant longtemps, je travaillais des petits formats, minutieux et aujourd'hui, j'arrive à travailler de grandes dimensions. Je commence à me sentir à l'aise avec le grand format. Ce qui me plait c’est de travailler en détail afin que les visiteurs s'approchent et observent.
Lia : Une invitation à la contemplation.
Victor : Oui, c'est extrêmement important, c'est ce que je veux transmettre à travers mon travail.
à découvrir
à découvrir