conversation
conversation
VANESSA SEWARD
Créatrice de mode et peintre.
Nous nous sommes retrouvées dans l’appartement de l'architecte Jean Dubuisson où elle vit avec Bertrand Burgalat et leur fille. Nous avons parler de confiance en soi, de failles, d’injonctions sociales mais aussi de chaussettes et de Buster Keaton ! Entre autres…
Lia : Ton parcours dans la mode est impressionnant. Tu as commencé ta carrière avec Lagarfeld chez Chanel ?
Vanessa : Oui ! Je sortais du studio Berçot et après, très vite, j’ai eu la chance de faire un stage qui est devenu un travail chez Chanel où je suis restée 9 ans. C’était super et en même temps, c’était difficile de démarrer avec ce que je considère comme étant l’une des meilleures expériences dans une maison incroyable comme Chanel. Je n’avais pas conscience de la chance que j’avais à l’époque.
Lia : L’insouciance de la jeunesse ! Et ensuite, tu as continué avec Tom Ford chez Saint Laurent et enfin Azzaro avec qui tu as travaillé et que tu as pu succéder.
Vanessa : Exactement. J’ai pu travailler avec lui avant sa mort. C’était super de pouvoir le connaître et de lui succéder. Quand on travaillait ensemble, les collections avaient déjà été repérées par Carine Roitfled et Maria Luisa, j’étais déjà portée par cette mission et ça m’a aidé à continuer. Ce qui m’avait donnée le plus de moteur, avec Azzaro, que j’admirai beaucoup, c’est notre dernière conversation quand il était à l’hôpital, il ne lâchait pas jusqu’au bout, je me rappelle, il m’avait dit « Vanessa, je nous fais confiance ». Cette phrase m’avait vraiment touchée et m’a donné l’énergie de continuer. J’avais une admiration sans borne pour lui.
Lia : Il y a des phrases qui résonnent et nous donnent confiance en soi. De fil en aiguille, ça me fait penser au syndrome de l’imposteur dont nous pouvons toutes faire l’objet.
Vanessa : Je l’ai toujours eu ! Et maintenant avec la peinture…
Lia : En même temps, ce syndrome peut aussi nous stimuler pour nous dépasser.
Vanessa : Oui, c’est vrai. Toujours cette quête de légitimité.
Lia : J’ai découvert tes peintures suite au confinement. Une peinture qui m’a particulièrement touchée, c’est celle de Sylvia Kristel avec les chaussettes ! Non seulement pour l’actrice qui a marqué mon adolescence avec son rôle dans la saga Emmanuelle mais aussi pour les chaussettes, j’aime les chaussettes, j’en porte même la nuit ! (rires).
Vanessa : Les chaussettes ont quelque chose de rassurant, oui. Les chaussettes peuvent être super sexy, tout dépend de l’attitude !
Lia : En parlant d’attitudes, dans ton livre, à un moment, tu évoques une anecdote sur Buster Keaton avec un train électrique, une sorte d’astuce pour aider à modérer la consommation de cigarettes ! La cigarette est en grande partie liée à l’attitude.
Vanessa : Aujourd’hui, j’ai beaucoup de chance de ne pouvoir fumer qu’une cigarette par mois. Mais quand je fumais plus, je tentais de me mettre des défis pour retarder la première cigarette ou ne pas fumer dans la rue…
Lia : Dans ton livre, il n’y aucun jugement, quelque-soit le domaine, tu arrives à faire passer des messages avec finesse et humour. D’ailleurs, tu n’hésites pas à souligner ta propre vulnérabilité.
Vanessa : C’était important pour moi, avant, j’avais toujours tendance à me montrer sur mon meilleur jour, à me montrer la plus parfaite possible et finalement, j’ai réalisé que le danger, c’est de devenir trop lisse. La perfection n’a finalement rien de séduisant. Et même si, aujourd’hui, on vit dans un monde où il faudrait avoir un filtre en permanence, j’ai réalisé que ce qui nous rend le plus attachant, c’est lorsqu’on montre nos failles. On a toujours plusieurs degrés d’intimité avec les personnes et avec mon cercle rapproché, j’osais être moi-même, c’est là que j’ai réalisé que j’étais sans doute plus intéressante et que je pouvais assumer d’être moi-même pour tout le monde. Être soi-même aide aussi les autres femmes à s’accepter. On est dans un monde où il faut manger des graines, faire du yoga, être une mère parfaite, sortir le soir, avoir un travail incroyable.
Lia : Beaucoup d’injonctions sociales qui peuvent être pesantes mais finalement tout ceci n’est qu’une façade ! Tu parlais de timidité, parfois, celle-ci se transforme en froideur apparente, une manière de se protéger. On s’autorise rarement à être soi-même. Alors qu’en effet, les maladresses, physiques ou comportementales, c’est justement ce qui nous donne du relief, ce qui nous rend unique.
Vanessa : Et chez les hommes aussi !
Lia : Bien sûr ! Finalement, c’est dans le mouvement, les gestes, les rides, les paroles, le timbre de la voix, l’odeur et non derrière un écran, qu’on perçoit vraiment une personne. Et l’âge aussi, accepter son âge, le temps qui passe. D’ailleurs, tu fais part de ton entrée dans la cinquantaine dans le livre. Je rentre dans ma quarantième année, et ça m’a aussi parlé ! Un hommage à la vie qui peut nous surprendre à chaque instant !
Vanessa : Oui, je me rappelle que je me posais plein de questions à 40 ans, je venais de terminer de travailler chez Azzaro, j’ai eu ma fille, j’avais peur que tout soit terminé. Et finalement, les choses évoluent différemment, chaque âge est intéressant !
Lia : « La vie a plus d’imagination que nous » comme disait Truffaut !
Vanessa : C’est vrai ! Et c’est aussi à nous de provoquer la vie, en vieillissant, il ne faut pas lâcher ! Aujourd’hui, je profite à fond, je peins, je n’ai plus les mêmes besoins qu’avant, certaines choses qui me tenaient à coeur avant, je m’en fous complètement aujourd’hui, j’ai des vêtements pour 5 vies ! (Rires) Je vis avec Bertrand, qui est tout le temps dans l’action, en train de créer, d’écrire, de composer. Et dans l’équilibre du couple, ça me stimule, je n’arrive pas à être oisive à côté de lui.
Lia : Le fait de ne pas être dans les mêmes domaines, tout en étant créatifs, ça doit être stimulant en effet. Et qu’est-ce qui t’a amené à la peinture ?
Vanessa : Ma mère avait fait les Beaux-Arts, elle donnait des cours de peinture et pendant le confinement, je suis allée chez elle avec ma fille. C’est là que j’ai commencé à peindre, j’ai adoré peindre à l’huile et peindre avec un enfant, c’est super ! Ma fille est complètement libre, comme tous les enfants, j’adore cette liberté qu’ils ont. Et franchement, si j’avais été dans une école académique, je ne pense pas que j’aurais peint de la même manière. J’aurais plus douté alors que là j’étais dans un espace intime, libre.
Lia : Finalement, ton rapport à la peinture est intimement lié à la transmission mère-fille. Pendant le confinement, la période était propice aux temps longs et la peinture à l’huile nécessite beaucoup de temps.
Vanessa : On a besoin de ces moments de contemplation, pour moi c’est vraiment nécessaire. Et j’aime cette façon de procéder par couches, de prendre le temps, de peaufiner. Avec la peinture comme avec le livre, j’aime laisser reposer et revenir dessus plus tard. Le temps, c’est important et c’est quelque chose que je trouvais de plus en plus compliqué dans la mode, avec de plus en plus de collections, de plus en plus de références etc. J’étais toujours très rétro-planning, il me fallait du temps.
Lia : Je comprends tellement. Quand j’avais 18 ans, je travaillais chez Double Magazine en tant que styliste photo et je me souviens avoir été perturbée par la notion du temps. Une dislocation temporelle permanente, jamais au moment présent, on devait toujours se projeter dans les saisons suivantes.
Vanessa : C’est vrai qu’il y a une distorsion dans ce rapport au temps dans la mode et on ne voit pas le temps passer, c’est un peu le danger. Tu peux passer à côté de ta vie.
Lia : Tout à fait, et avec le premier confinement, on a pris la mesure du temps, de sa préciosité avec tout ce que ça implique. Le temps qu’on prend pour soi mais aussi le temps que l’on donne aux autres. Être présent.
Vanessa : Et j’ai l’impression que la notion de succès, de réussite à complètement changé avec le confinement, tout d’un coup, on a compris que c’est l’harmonie qui est importante, l’harmonie de ce que tu es, de ce que tu veux.
à découvrir
à découvrir