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MILA GENUARDI

Spécialiste de la photographie, directrice artistique et fondatrice du salon A ppr oc he & unRepresented.

Nous nous sommes retrouvées chez elle où nous avons discuté de démarche curatoriale, du lien avec le public, de photographies expérimentales, de la pratique du collage et de la nécessité à décloisonner les pratiques artistiques. Entre autres.

Lia : En 2017, tu as fondé le salon A ppr oc he. Pour la première édition du salon, tu avais travaillé étroitement avec Léa Chauvel-Lévy.

Emilia : Oui, j'avais invité Léa a réaliser le commissariat à mes côtés et elle avait fait bien plus que ça. On avait beaucoup discuté, non seulement sur le commissariat, mais aussi sur la forme du salon. A ce moment-là, mon background était surtout issu du monde de la photographie et Léa m'a ouvert beaucoup de portes au sein des galeries d'art contemporain. Et au fil de nos discussions, on avait étoffé le discours et le concept d'Approche. Concrètement, elle m'a aidée à établir les racines. Je venais de réaliser trois années de direction artistique à la galerie Madé qui est une galerie photo montée par Madé Taounza pour laquelle on avait participé à des foires photo. Mon constat était que le médium photographique était vu au sein de deux environnements très distincts qui ne se côtoyaient pas à l'époque, qui n'avaient pas les mêmes visiteurs, pas les mêmes collectionneurs. Et je me suis dit que si on réunissait ces deux milieux, galeries d'art contemporains et galeries photos qui représentent chacune le médium photographique, on aurait une vraie scène photographique contemporaine. C'est comme ça qu'est née l'idée du salon Approche, en réunissant les deux milieux. Mon analyse en tant que directrice artistique de galerie était de proposer au public un vrai projet curatorial en prenant tous les risques. A l'époque, je commençais aussi à collectionner et j'avais envie de mélanger mon approche en tant que collectionneuse et en tant que galeriste. Je me suis demandée comment je voudrais voir des pièces et être accueillis dans une foire. Donc, sans payer, en étant considérée comme VIP tout le temps, sans avoir à faire la file sous la pluie dehors, dans un endroit accueillant où je n'aurais pas peur de parler aux gens qui me permettrait de rentrer en profondeur dans l'univers d'un artiste. 

Lia : Dès la première édition d'A ppr oc he, le choix du lieu, à savoir le Molière, marquait déjà une différence. En plein Paris, facile d'accès, accueillant, à taille humaine et lumineux. Ça changeait des foires aux stands impersonnels qui peuvent souvent nous faire perdre le sens de l'orientation ! 

Emilia : Le lieu est super important. L'idée était d'accueillir les visiteurs comme à la maison, à taille humaine. L'approche de la scénographie est très importante parce qu'elle est définie en fonction des murs de la maison pour casser la froideur et le systématisme des foires. 

Lia : En proposant une autre approche de l'espace de la foire avec une approche curatoriale cohérente, le choix même du nom du salon A ppr oc heest en adéquation avec son concept fondateur. 

Emilia :  Bien sûr, c'est à la fois l'approche photographique, mais c'est aussi "Approche, viens là, viens voir". Pour moi c'était important d'ancrer le salon dans un univers culturel français mais à ouverture internationale et "Approche" reste aussi compréhensible pour les anglophones.

Lia : Il y a en effet une notion intimiste et rassurante quand on dit "Approche, viens là", c'est ce que l'on ressent quand on arrive au salon. 

Emilia : Ça me fait plaisir, c'est exactement l'intention voulue. 

Lia : Certaines personnes se disent intimidées par l’aspect White Cube des galeries.

Emilia : C'est possible mais les galeries font un travail d'accueil inestimable, je généralise mais la plupart d'entre-elles proposent une médiation gratuite, c'est ouvert à tous les milieux sociaux, c'est une vraie chance.

Lia : Et il faut reconnaître que le concept de médiation culturelle s'est développé depuis quelques années.

Emilia : L'univers des galeries est un univers marchand alors s'il n'y a pas de médiation on peut passer à côté de ventes. Avec A ppr oc he, on y a beaucoup réfléchi et d'ailleurs, tu l'auras remarqué, les artistes sont présents durant le salon. C'était très important pour moi que l'artiste présente son travail lui-même et qu'il y ait une rencontre intime, une discussion entre les visiteurs, les acteurs majeurs de la création contemporaine et l'artiste. C'est aussi quelque chose qui dissocie A ppr oc he des autres foires, même si le but est de vendre, c'est certain, mais c'est aussi de tisser des liens et d'inscrire les artistes dans un courant, un marché. 

Lia : Tu penses vraiment que ce soit important que l'artiste soit présent ?

Emilia : Absolument oui, ça joue beaucoup. Après, chaque artiste a sa personnalité, certains artistes ne sont pas du tout à l'aise dans la présentation de leurs travaux. Dans le cadre d'Approche, ils bénéficient du soutien de leur galerie et de médiateurs au sein du salon. Et pour le nouveau salon que je viens de monter, unRepresented, destiné aux artistes non représentés mais soutenus par des collectionneurs, on a tablé sur plus de médiateurs aptes à vendre et à tisser des liens entre les visiteurs et les travaux exposés aux murs. 

Lia : En parlant d'unRepresented,, comment t'est venue  l'idée d'exposer des artistes non représentés ? 

Emilia : Il y a peu de galeries par rapport au nombre d'artistes. Aujourd'hui, ce qui se développe ce sont des visites d'ateliers organisées par des associations de collectionneurs ou des amis des musées mais souvent ce sont des ateliers qui font partie de structures comme Poush, Le Houloc, Manifesto. Pour les autres, c'est beaucoup plus compliqué, ils sont vus à travers des group shows mais encore une fois, il y en a peu par rapport au nombre d'artistes. Chaque année avec Approche je laissais deux ou trois places à des artistes non représentés mais aussi j'introduisais des artistes à des galeristes pour qu'ils puissent intégrer Approche. Cette idée de montrer des artistes non représentés me trottait dans la tête depuis longtemps. En 2018 ou 2019, j'avais montré My-Lan Hoang-Thuy qui a été ensuite représenté par la galerie Derouillon et maintenant par la galerie Mitterrand. Et voilà, c'est en passant par le salon A ppr oc he, son travail a été vu et elle a trouvé une galerie. Je me suis dit que, finalement,  après l'assise de 6 éditions, A ppr oc he a comme réputation d'être un tremplin pour les artistes mais aussi de refléter un enjeux de découvertes et d'expériences pour les visiteurs et pour les acteurs majeurs de la création et pourquoi pas pour les galeristes aussi. Encore une fois, ce n'est pas une condition sine qua non, parce qu'il y a des artistes qui ne veulent pas être représentés. Il y a plein de raisons pour lesquelles les artistes ne sont pas représentés, mais ces artistes n'ont pas ou très peu de visibilité sur le marché. En tant que collectionneuse, j'adore acheter une pièce et voir des années plus tard comment l'artiste a évolué. Ça fait partie du jeu et de la passion du collectionneur de soutenir un artiste et de voir les choses évoluer. 

Lia : Le salon unRepresented a cette particularité unique d'exposer des artistes proposés par des collectionneurs.

Emilia : Oui, pour ce nouveau salon, c'est un collectionneur qui sponsorise un artiste en échange d'une pièce, c'est clairement en soutien à la création contemporaine. 

Lia : L'idée de cette économie est juste géniale, il fallait la trouver. 

Emilia : Les deux salons sont auto-produits d'une manière complètement indépendante, c'est la liberté et elle a un prix mais cette liberté est fondamentale dans ma démarche. À travers tout mon parcours professionnel, entre agent de photographes puis directrice artistique en galerie et fondatrice du salon Approche, s'il y a un point commun, c'est vraiment le soutien à la création. Et depuis la crise du covid, j'ai de plus en plus entendu des collectionneurs dire qu'ils achetaient en soutien et c'est là que j'ai pensé à proposer aux collectionneurs d'offrir aux artistes une place sur le marché, une visibilité, une mise en contact avec la presse, les éditions, les institutions en échange d'une pièce qui rentre dans leur collection. Il me semble que c'est un modèle sain pour les trois parties, autant pour les artistes que pour les collectionneurs et le salon. 

Lia : Dès la première édition d'Approche et unRepresented, on a eu l'opportunité de voir et découvrir des artistes collagistes. Le collage, pratique souvent inclassable, est encore peu représenté dans les galeries.

Emilia : Il y a tellement d'artistes qui pratiquent le collage. C'est vrai que Barbara Breitenfellner, on ne la présente plus. Ces collages sont réalisés à partir d'une collection de coupures de magazines, de journaux. Noé Sendas ce sont des collages à partir de photographies vernaculaires qu'ils collectionnent. Il existe différentes formes sous l'appellation "collage". Je constate que cette forme de collages comme le pratique Barbara Breitenfellner ou comme toi, est un peu laissée de côté par l'environnement des galeries d'art contemporain et je trouve ça bien dommage. Il est temps que les choses changent. Même si Barbara a fait une merveilleuse installation au centre de la photographie d'ile de France, même si elle a une carrière très soutenue au sein d'institutions, je ne m'explique pas le manque de notoriété des collagistes mais je suis toujours très heureuse d'en présenter un ou une à chaque édition d'Approche et ça a toujours bien fonctionné. 

Lia : Est-ce parce qu'il s'agit souvent d'images récupérées ? Est-ce dû au processus principalement instinctif ? Est-ce parce que ça ne nécessite pas de technique particulière ? 

Emilia : Bien sûr que ça ne nécessite pas une technique et c'est souvent les premières compositions que l'on fait enfant mais il y a une part de rêve à travers certaines superpositions, certains accouplements d'images.

Lia : En effet, déconstruire et reconstruire des images pour créer de nouvelles compositions qui trouvent un équilibre propre à chaque artiste collagiste.

Emilia : Aujourd'hui, si tu me mets sur une table des collages de toi, des collages de Katrien de Blauwer, des collages de Barbara Breitenfellner, des collages de Ruth van Beek... ce qui est intéressant, c'est qu'il y a une signature propre à chaque artiste. Comme en photo finalement. 

Lia : Finalement, le fait d'intégrer des collages au sein d'un salon de photographies expérimentales permet de décloisonner la pratique du collage. L'angle apporté par Michel Poivert dans son ouvrage "Contre-culture dans la photographie contemporaine" ouvre d'autres façons d'aborder la composition d'une image. Pour ma part, je considère toute pratique artistique comme une forme de collage, de composition mentale ou plastique d'ailleurs. Finalement, même un texte est une forme de collage réalisés à partir des mots.  

Emilia : Bientôt, je participe à une table ronde initiée par le ministère de la culture au Palais de Tokyo sur le marché de la photographie. Je me questionne beaucoup déjà sur l'appellation "marché de la photographie", pour moi la photographie s'intègre dans le marché global de l'art, on ne parle pas du marché de la sculpture. (rire) Pourquoi cloisonner alors que le but est d'évoluer, d'élargir le spectre !

Lia : En dehors des collages et pour revenir à l'aspect expérimental de la photographie, lors des dernières éditions du salon A ppr oc he, on pouvait remarquer des œuvres où l'on percevait le geste de l'artiste jusqu'à en oublier l'appareil photographique. 

Emilia : Bien sûr, parfois il n'y a même pas d'appareil photo. La photographie est née d'une expérience, d'une plaque photosensible sur laquelle la lumière vient se poser dessus. Et les artistes plasticiens reviennent beaucoup à cette expérimentation primaire sur divers matériaux : bois, verres, marbres... Ou encore le photogramme qui existe depuis toujours et qui ne cesse de se réinventer, et le cyanotype ! Maintenant il y a tellement d'artistes qui font du cyanotypes, quelques fois on en peut plus mais y en a qui arrive toujours à inventer, je pense à Marie Clerel avec son éphéméride de cyanotypes, c'est magnifique ! finalement c'est une question d'idées avec une technique qui existe depuis des lustres. A ppr oc he n'est pas un salon de photographies, c'est un salon d'art contemporain accès sur l'expérimentation de la photographie. 

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