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MATHILDE DENIZE

Artiste plasticienne

Peinture, couture, sculpture, vidéo, installation... Mathilde Denize n'hésite pas à dépasser les techniques formelles en vue d'explorer de nouveaux territoires. Le regardeur assiste à des mises en scène dont les fragments sont issus de l'archéologie personnelle de l'artiste.

Ses toiles peintes abandonnent les châssis et prennent formes dans l'espace de manière sculpturale, le vide devient un entre-deux à remplir, questionnant la présence à travers l'absence autant que la figuration par son abstraction.

Nous nous sommes retrouvées dans son atelier où nous avons parlé autour du mystère des images, de la culture des objets, de la mise en volume, de la joie de créer et des rébus. Entre autres…

Lia : Je me souviens de la première rencontre avec ton travail, c'était lors de l'exposition à l'Appartement 341 sur une invitation de Judith Prigent. Au-dessus de l'étagère que j'avais installée, tu avais disposé des ciseaux en bois.

Mathilde : Oui, je me souviens. C'était une sorte d'installation ready-made accrochée au dessus de l'étagère, il y avait deux pieds de table en bois sur lesquels j'avais peins en blanc, et au dessus les ciseaux en bois qui n'étaient rien d'autre que des ex-votos que l'on m'avait ramené du Mexique. En sortant des Beaux-Arts, je n'étais pas diplômée pour ma peinture mais pour cette pratique de l'assemblage, cette culture de l'objet, que tu as aussi. On fait tous des petits musées chez nous. La peinture est revenue après, de façon détournée.

Lia : En parlant de peinture et de détournement, je pense à ta série des Vénus pour lesquelles tu as réutilisé tes propres toiles peintes.

Mathilde : Tout à fait, à travers tous ces échecs à vouloir faire de la peinture figurative, je me suis retrouvée avec toute cette matière qui était destinée à être jeté mais que j'ai finalement transformée pour reconstruire une figuration différemment.  

Lia : Tu n'hésites pas à employer diverses techniques, entre peintures, collages, couture. D'ailleurs, en photo, on ne voit pas si bien le fil qui tissent les éléments les uns aux autres.

Mathilde : Comme tu peux le voir en vrai, le fil est bien visible, c'est un élément que j'aime beaucoup mettre en valeur. La couture m'a permis de celer tous les éléments. Parce que tout apparait un peu comme des rebus, il fallait quelque chose qui lient les éléments de façon tendue. Un peu comme la céramique et la couleur quand tu les cuis ensemble, ça ne bouge plus. C'était un peu cette idée là.

Lia : Laisser le fil visible souligne davantage la présence de sous-couche.

Mathilde : Oui, il y a vraiment l'idée de superpositions sans cacher la technique. La technicité ne m'intéresse pas vraiment, je n'ai pas envie d'apprendre la couture, ça ne m’intéresse pas, j'ai une approche intuitive. Je couds comme je ne sais pas coudre. J'aime bien voir la trace de la main, du geste.

Lia : Ces traces, souvent maladroites, mettent en relief la présence de l'artiste. Et c’est justement ce qui rend l’oeuvre unique. D’ailleurs, on retrouve souvent la représentation de la main dans ton travail.

Mathilde : Oui, plusieurs motifs reviennent depuis un moment, enfin depuis toujours  à partir du moment où j'ai commencé à dessiner, on retrouve des motifs comme des cruches , des mains, des citrons, des chaises... Ce sont des choses communes à notre quotidien, des motifs qui sont naturels pour moi.

Lia : Tu faisais allusion aux rébus. Y a-t-il un lien entre les citrons, les chaises et les mains ?

Mathilde : Je ne sais pas si je fais le lien. Les éléments se mettent en place naturellement dans l'espace. Ça m'amuse de parler de rébus, il y a toujours une phase mystérieuse quand on fait des images, il y a toujours quelque chose que l'on ne contrôle pas, comme toi avec les collages. On reste identifiable parce qu'on répète des motifs, on ne sait pas pourquoi on les répète, on est tous un peu obsessionnels. Et ces rébus finissent par constituer des phrases qui deviennent de plus en plus longues sur des travaux de 10 ans, 20 ans. Ces motifs qui se répètent nous rassurent, ça nous permet de nous raccrocher à un moment donné, peut-être pour démarrer une image et ensuite aller dans des directions très différentes. Mais on peut toujours revenir au citron. Il y a une ligne tendue entre les motifs qu'on répète. Et c'est avec cette ligne qu'on s'amuse entre les deux.

Lia : Les parties camouflées des œuvres, les sous couches, invitent à deviner ce qui se cache. Ou encore, je pense à tes Venus et aux corps que l'on devine par leurs absences.

Mathilde : Oui, avec les Vénus, des pièces mises en volume, il y a un vide qui s'est créé. Je crois que ça été, pour moi, la meilleure façon de parler de la figuration, à la fois par l'absence que par la présence. L'absence donne mille fois plus de présence à quelqu'un que quand tu l'as à côté de toi. C'est très étrange, il y a une autre réalité qui se met en place. En ce moment, je fais des recherches sur le volume en travaillant sur des bustes qui vont sortir des murs et des peintures.

Lia : C'est fascinant de partir de la toile peinte, la plupart du temps destinée à être figé en 2D sur un châssis. A travers ces pièces, tu arrives à donner une autre ampleur à la toile peinte de façon inattendue. La toile devient sculpture.

Mathilde : Je ne sais pas si tu te souviens, quand on est enfant et qu'on a envie d'une première mise en volume de ce que l'on a dessiné ?

Lia : Je me souviens d'avoir imaginé les éléments prendre vie mais pas de visualiser le processus de la mise en volume - il manquait cette étape fondamentale ! Ce n'est pas pour rien que tu arrives à conceptualiser cette mise en volume. Dernièrement, je suis allée voir l'exposition de Cathy Josefowitz au Centre Culturel Suisse et de voir ces petits personnages flottants dans l'espace, c'était une grande émotion. Proche de l'émerveillement que l'on peut ressentir lorsque l'on est enfant.

Mathilde : Un délice.

Lia : À une période où l'on consomme tant d'images à travers le prisme des écrans, en 2D principalement, la mise en volume permet une emprise avec la réalité. Il y a une respiration.

Mathilde : Même lorsque l'on se trouve devant un collage ou une peinture, il se passe quelque chose de l'ordre de la réflexion, l'oeil joue avec un rébus. L'image est vivante, un écran ne l'est pas. La sculpture, tu peux tourner autour, il y a un rapport au corps, à l'échelle, à l'espace. Mais quand tu vas dans une exposition et que dans la salle tu vois une peinture, une image en 2D, ton corps se déplace aussi dans l'espace.

Lia : C'est juste. L'exposition invite à une forme de chorégraphie dans l'espace. La place du regardeur devient un repère, on ne sait pas comment se passera l'interaction avec l'oeuvre. Une mise à nu qui nous échappe et à laquelle nous n'assistons que très rarement. On parlait de présence à travers l'absence. Finalement, la présence du créateur se manifeste autant par son oeuvre que par son absence physique. Un peu comme tes Vénus dont on devine les corps absents.

Mathilde : Je pense qu'une image peut être à la fois absente et à la fois présente. C'est ça qui est très beau. Elle peut être absente parce que tu l'as trop regardé et que tu ne la vois plus, elle peut être présente parce qu'un moment elle te nourrit à nouveau.

Lia : Tu n'hésites pas revenir sur certaines images, notamment en récupérant des toiles que tu avais peinte pour les intégrer à tes sculptures. Mathilde : J'ai besoin de la peinture pour travailler, je ressens de la joie avec les couleurs, avec les formes mais dire qu'un tableau est fini ou réussi c'est un truc impossible pour moi. Il n'y a que les petits formats que j'arrive à faire, parce que je les fais dans la joie. Je pense qu'il faut créer dans la joie, l'oreille coupée c'est fini. Le mythe de l'artiste maudit n'existe pas, tu ne peux pas travailler si tu n'es pas bien.

Lia : Ça me fait penser au morceau de Sexy Sushi "Rien à foutre" où elle chante justement " le mythe de l'artiste maudit, c'est de la grosse connerie". (rires)

Mathilde : C'est ça ! (rire) Je suis tellement heureuse dans le process, dans la joie de faire qu'une fois que je termine une pièce en volume, j'ai envie d'en faire une autre. Je n'ai pas ce truc à regarder une peinture pendant des années à me dire "oui" "non""peut-être". Les pièces en volume, une fois qu'elles sont cousues, elles sont finies et basta. Et si elles ne sont exposées, je les découperai. Elles continuent d'exister sous une autre forme. Il y a quelque chose de tellement figé avec la peinture, ce n'est pas naturel pour moi, je ne suis pas une peintre sur châssis.

Lia : Dans ton travail, on voit les éléments sortir du cadre. Il y a toujours du mouvement. Pour revenir à la joie de créer, il m'arrive de ressentir une forme d'excitation et lorsque je sais que l'oeuvre est terminée, il y a comme un soulagement.

Mathilde : Oui, parfois il y a juste quelques secondes qui te soulagent et te raccrochent au monde. Et c'est quelque chose qui sort de toi. C'est quand même très étrange de se satisfaire de quelque chose qui sort de soi.

Lia : La sensation de soulagement apparait, justement parce que l’on accouche de quelque chose.

Mathilde : Il y a toujours cette question d'équilibre. Comme sur une étagère, quand on met des objets les uns à côté des autres, on cherche l'équilibre entre les échelles, les hauteurs. A un moment, il y a une forme de contentement quand on déplace un objet et que l'on trouve la bonne distance, la bonne place.

Lia : En parlant d'équilibre, il y a un équilbre chromatique qui te rend identifiable. Que ce soit autant sur les petites toiles qu'à travers tes sculptures, on retrouve certaines teintes, une palette. Toujours avec quelques touches de matières presque néo-futuristes !

Mathilde : Je ne me rends pas compte ! Il y a un certain bleu qui revient très souvent et puis il y a eu l'arrivée du dorée. Avec la matière vinyle, ça m'a permis de trouver des effets propres aux coquillages, qui permettent des éclats de lumières, des révélateurs de l'espace.

Lia : En peinture, tu travailles essentiellement autour de formes abstraites, aujourd'hui, que penses-tu de la peinture figurative ?

Mathilde : C'est dingue comme la peinture figurative ressurgit partout, partout. J'ai besoin de mystères dans l'image. La peinture figurative a quelque chose de tellement silencieux, pour moi, dès qu'elle est trop exposée, trop mise en avant, trop narrative, je trouve ça très difficile pour être juste. Et qu'à un moment donné, les personnages qui sont présentés soient suffisamment silencieux pour pouvoir nous parler. Je pense qu'il y a énormément de peintures figuratives aujourd'hui qui sont juste des citations de la figure, après je suis peut-être trop intello avec la figuration.

 Lia : Il y a une artiste peintre dont j'apprécie particulièrement le travail, Olivia Bloch-Lainé, qui vascille entre figuratif et fantastique. Enfin, le figuratif devient un point de départ pour explorer d'autres dimensions. Une forme de collage.

 Mathilde : Oui, je vois, c'est un peu hors sol. Elle semble très inspirée par Magritte. Pour moi, ça change tout quand à un moment, tu casses la figure, tu casses les scènes classiques, tu disposes autrement.

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