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CELIA NKALA
Artiste plasticienne
Nous nous sommes retrouvées dans l’entrée de la galerie Da End où nous avons parlé d’intuitions et d’intentions, de la quête d’objets, de leurs vibrations et de symboliques. Entre autres.
Lia : Tu te souviens, tu m'avais offert une œuvre à la suite à l'installation de Shelves à la Villa Vassiliev. Une carte de tarot recouverte de feuilles d'or. On apprenait tout juste à nous connaître et j'avais été touché par ton geste.
Célia : Je te l’ai offerte alors qu'on ne se connaissait presque pas mais j’ai tout de suite senti qu'il y avait une connexion. Cette carte fait partie d'une série mais c'est la seule qui ne peut pas être vendue. Elle doit être offerte, c’est devenu protocole. Je l'offre à ceux qui me font évoluer ou qui m'ouvrent des portes, parfois même sans le savoir. Sur la carte, il y a deux coupes jumelles. C’est l’échange, le partage, l'idée de donner et de recevoir. La coupe c’est un symbole sacré, mais c’est aussi les plaisirs de la vie !
Lia : Ce binôme qui présageait alors une amitié naissante. Hautement symbolique ! De cette série, tu avais également travaillé - entre autres - autour de la carte du diable. Et contrairement à ce que l'on peut penser, n'est pas si négative que ça.
Célia : Disons qu’elle est complexe. C’est une carte intense, de passion et de pulsion. Elle peut donner beaucoup d’énergie mais il faut que l’énergie soit canalisée sinon on bascule dans quelque chose de plus sombre. Au fond, c’est une carte qui parle de création.
Lia : Dans ton travail, tout semble avoir une portée symbolique, voire ésotérique, tu ne laisses rien au hasard ?
Célia : C’est souvent l’impression que mon travail donne ; Pour autant, je ne cherche pas à tout expliquer. J’utilise la symbolique des formes et des matériaux comme une sorte de grammaire assez précise et combinatoire. Le symbole ou l’archétype, c’est une forme de communication non-verbale, de langage universel. Quelque soit la culture, l'âge ou le système de références, chacun peut en percevoir quelque chose.
Lia : C'est juste, l'art invoque, parfois, des ressources ancestrales qui peuvent sembler familières sans pour autant en connaître les origines... D'où l'attraction que peuvent susciter certaines œuvres.
Célia : Moi, je cherche à me connecter au monde. A l’univers même ! Ce qui m’amène à manipuler des notions ou des concepts qui très souvent me dépassent.
Lia : On ressent à la fois une quête de la perfection et à la fois une approche tribale. Ça me fait penser à la danse classique et contemporaine. La danse classique apparaît comme une quête de la perfection, de l'élévation qui tend vers une instance spirituelle, presque inatteignable. Et la danse contemporaine qui semble plus terre à terre, presque tribale et plus instinctive. Dans les deux cas, les mouvements des corps semblent invoquer l'inconscient du spectateur.
Célia : La danse contemporaine est ancrée dans le sol, il y a une énergie primitive. Alors que la danse classique à l’inverse va vers le haut, c’est une sublimation. J’ai beaucoup dansé, et j’ai été initiée aux deux.
Lia : On peut jouer de cette dualité sans les opposer.
Célia : Exactement, c’est le principe du contraste. Chez moi on peut parler de métissage ; Entre les arts plastiques et les arts appliqués d’abord mais aussi concernant mes inspirations qui vont des arts décoratifs au culte tribal ou du geste primitif au design contemporain. J'assemble les références librement, sans jamais distinguer ce qui relève de l’intention et ce qui relève de l'intuition.
Lia : Tout à fait, intuition et intention semblent intimement liées. On a en commun, comme point de départ, une approche intuitive qui nous permet d'élaborer différents niveaux de lectures. Pour nous même d'abord et pour le regardeur ensuite.
Célia : L’idée est de s’adresser au plus grand nombre. Pour moi le travail d’un artiste est d’être au plus près d'une forme d’universalité. Plus il y a de niveaux de lecture dans une oeuvre, plus elle est juste.
Lia : Durant le processus créatif, certaines influences remontent à la surface et se manifestent de façon tangible une fois la création réalisée. L'intention se manifeste-t-elle dans
la forme une fois l'œuvre réalisée ? J'évoque souvent le puzzle pour illustrer ce processus.
Célia : Peut-être. C’est vrai, je suis incapable de parler d’intention ou d’expliquer une pièce avant que celle-ci ne soit finie, donc lorsque apparait l’image du puzzle comme tu dis. Avant ça, je ne suis que dans l’instinct et l’émotion.
Lia : On se connait depuis un moment et j'ai l'impression qu'avec l'arrivée de Jeanne - je préfère évoquer la rencontre avec un être que la maternité, il semblerait qu'il y ait eu un changement dans ta démarche. Avant, ton travail paraissait plus lisse, plus maîtrisé, qui dénotait une quête de la perfection, et depuis quelque temps, tu sembles explorer certaines failles. Je pense notamment à une œuvre en bois brûlé ! Tant en termes de réalisation qu'en termes de pérennité, j'y ai perçu un certain pas de côté qui, je dois te l'avouer, m'a étonnée de ta part.
Célia : L’arrivée de Jeanne a vraiment modifié mon rapport à la création. Et là je ne parle pas de problématique logistique ou temporelle. L’enfant c’est la Création avec un grand C, et passé le temps de l’accueil, tu te rends compte que c’est en fait un work-in-progress ! C’est très « plastique » un enfant, tu sais de quoi je parle, ça n’est jamais fini ! C’est fascinant. Bref, la série Vestiges (les bois brûlés) a été commencée un peu avant, et poursuivie en binôme avec elle, comme à peu près comme tout le reste d’ailleurs. Il s'agit de fragments de bois brûlés trouvés dans le bois de Boulogne lors de promenades.
Lia : Ah je pensais que tu les avais brulé...
Célia : Non, ils viennent de feux clandestins. Je les ai trouvés tels quels, puis séchés, désinsectisés , « restaurés » en quelques sortes avec de la cire antiquaire. A part ce travail de sélection et de conservation, il n'y a pas d'intervention de ma part.
Lia : Pourrait-on dire que tu as participé à la fossilisation des ces pièces trouvées ?
Célia : Je dirais que c’est un travail d’archéologie contemporaine. Mais tu as raison c’est une série complètement à part dans ma production, presque perturbante. A part être réceptive lors d'une promenade, il n'y a pas eu ce temps de production un peu laborieuse auquel je suis habituée. C’est une forme de lâcher-prise et de confiance assez rare chez moi.
Lia : La quête de la matière, sa collecte marque le début du processus. Pourquoi cette pièce et non une autre finalement ? Ton processus de préservation de la pièce ou des pièces choisies ne fait que renforcer l'idée de l'intention. On revient à l'ambivalence entre intuition et intention !
Célia : Ramasser est une intention, et pourtant à ce moment là, je ne suis que dans l’intuition. Au début, je ne savais même pas que cela deviendrait une série d'œuvres. Là, j’ai vraiment compris et accepté que c’est mon regard qui fait œuvre.
Lia : Et qui fera œuvre pour les regardeurs.
Célia : C’est une histoire d’appropriation mais surtout de perception. Comme toi, quand tu pars d'un objet, un livre en général, dans lequel tu vas prélever des éléments. Il n'y a que toi qui sait pourquoi.
Lia : Et parfois, je l'ignore moi-même. Mais en effet, il s'agit de sortir des éléments de leur contexte. Comme tes bouts de bois que tu extrais de leur environnement naturel, quand j'extrais une image d'un ouvrage, l'idée étant de construire quelque chose de nouveau à partir d'éléments qui avaient leur propre existence.
Célia : On part toutes les deux, je crois, de l'objet trouvé. Pour toi c’est l’image imprimée, moi ma sélection est plus hétéroclite. C’est un objet domestique, parfois même pris chez moi, un objet trouvé dans la rue, acheté aux enchères, ou chiné, collecté en forêt.. peu importe. Ce qui compte c’est le sujet et la charge que l’objet amène avec lui. Du coup la forme et le médium changent en permanence ; D’ailleurs j'aimerais bien restreindre mon champ d'actions et me spécialiser comme toi tu l’as fait.
Lia : J'explore aussi divers médiums, comme toi, il y a quelques années je collectais beaucoup d'éléments au gré des trouvailles dans l'espace urbain. Je me souviens, il y a bien longtemps, 15 ans peut-être, avoir récupéré de la tuyauterie d'hôpital. J'y avais perçu une forme de poésie mais après l'avoir ramené chez moi, j'avais contracté une forme de gastro carabinée dont je t'épargne les détails et me suis demandée si les tuyaux ne m'avaient pas transmis une maladie infectieuse ! (rires)
Célia : Ah le processus créatif c’est parfois épique ! Je me souviens d'un moment où j'étais complètement obsédée par les tapis, j'achetais des tapis tout le temps, je les ramenais chez moi, mon compagnon commençait à s'y habituer et tout d'un coup je retirais un tapis pour l'amener à l'atelier et en faire le support d'une pièce. Hors le tapis c’est là ou on pose les pieds, symboliquement c’est l’ancrage, la stabilité. Donc ça le rendait dingue et ça a causé des crises totalement irrationnelles entre nous. J’ai compris pourquoi bien après. Il y a une charge liée à l'histoire de l'objet et sur laquelle on a aucune prise. On ne sait jamais vraiment pourquoi on l'a sélectionné. Je crois qu'à ce moment-là, on réagit surtout à une vibration. Et ensuite on peut se retrouver totalement parasitées
Lia : C'est juste. On m'a toujours dit de ne pas porter des bijoux ayant appartenu à d'autres personnes précisément pour la charge énergétique que l'objet pouvait encore contenir d'une autre personne. Quand je récupère des livres, des revues, des magazines, je n'y vois pas de charge personnelle, je pense seulement aux mains qui les ont feuilleté et aux regards qui se sont posés, sans creuser plus loin. À l'origine, même si je ne trouve qu'un exemplaire, ce sont des objets qui ont déjà été reproduit et qui sont voués à passer de mains en mains, je n'y perçois pas de charges affectives.
Célia : Peut-être aussi que l'objet permet une plus grande imprégnation des énergies. Peut-être que l’incarnation ne se fait que dans le volume ?
Lia : Un peu comme la lampe d'Aladin ! (rires)
Célia : Avec le temps, la collecte d’objets est devenue une méthode de travail. Généralement je les laisse à l'atelier, je ne les ramène plus chez moi pour ne pas que les énergies interfèrent dans mon quotidien. Je les place dans des caisses et parfois je les oublie pendant des années. C'est quand j'ouvre les caisses que tout se joue. Certains objets se détachent du lot, s’imbriquent par le hasard du stockage et m'inspirent immédiatement. Quand d’autres ne serviront jamais et m'encombrent à vie !
Lia : Quand j'étais venue dans ton atelier, celui que tu avais dans le 20e, tu avais une vaste collection de minéraux. Alors oui, même un pied de lampe peut être vecteur d'énergies - et pas seulement électriques, mais les minéraux, on en connaît les vibrations.
Célia : Oui, j’ai une collection de minéraux mais je n'ai jamais rien pu en faire, ça n'a finalement jamais été un point de départ. Peut-être parce que, comme tu dis, on en connaît les vibrations. Ce sont un peu des talismans posés dans l'atelier. Pour l’instant en tout cas.
Lia : On compose toutes les deux avec des éléments trouvés mais notre démarche est différente. La technique même de tes compositions varient selon les éléments. Finalement, nous sommes en quête d'équilibre, que ce soit en 2D ou en 3D. Quand il s'agit de volume, c'est bien sûr plus flagrant, il faut que la pièce tienne en volume dans l'espace, pour le collage il s'agit simplement d'un équilibre visuel.
Célia : Oui, l'équilibre est vraiment une quête. À double sens quand on travaille en volume ! Concernant les Tribalitées il s'agissait d'un équilibre vertical. Je dois composer avec cette complexité technique. Mais au fond, je pense que nous avons la même exigence. Il faut à la fois s’aligner à soi-même et au reste du monde. Même si c’est précaire, et qu’en termes de temps, cette sensation d’équilibre ne représente qu’une toute petite partie du processus de création.
Lia : Parfois, il s'agit juste d'une micro-seconde à saisir comme une épiphanie. Même imperceptible, ce moment permet un dépassement de soi. Tu m'as sans doute déjà entendu en parler 1000 et 1 fois mais c'est ce que les japonais nomment le Ma, cet espace entre, entre le vide et le plein, là où se situe la balance, l'équilibre.
Célia : Oui mais je suis toujours contente que tu me rappelles ce mot. C’est le moment ultime, et quand on l’atteint on devient immédiatement accro. C’est un peu le « Misérable Miracle » de Michaux qui inclut aussi une difficulté de restitution et d’explication. C’est éblouissant mais c’est fugace !
Lia : Oui, comme une transe !
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