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JOSÉ LÉVY

Artiste, designer

Nous nous sommes retrouvés chez lui où nous avons parlé de son enfance teinté d’influences japonaises, de son expérience dans la mode, de son passage à la Villa Kujoyama ou encore de son journal photographique, de jeux d’illusions, de la place des objets dans notre quotidien… Entre autres.

Lia : Je peux te demander si tu es d’origine portugaise ? José étant un prénom très courant au Portugal. 

José : Pas du tout. Quand j’étais petit, c’était un peu compliqué à porter, en France il y avait 12 prénoms masculins comme Stéphane, Jérôme, Alain et les Jean quelque chose etc. Pour revenir aux origines, mon grand-père s’appelait Joseph et dans la tradition juive, l'aîné des enfants doit nommer son aîné du nom du grand-père. Et quand je suis né, Joseph était un prénom de vieux alors ils ont décidé de réduire Joseph à José.

Lia : Même si la racine est la même, les prénoms n’ont pas la même sonorité. « José » évoque tout de suite le côté ibérique.

José : Quand tu es petit tu veux être comme tout le monde, le champ lexical des prénoms était très limité. Le regard des enfants sur les enfants peut être très dur. Je ne sais pas si c’est encore comme ça aujourd’hui.

Lia : Les enfants peuvent être impitoyables ! Comme toi, j’avais du mal avec mon prénom quand j’étais gamine, je voulais m’appeler Jennifer...

José : Mon prénom racontait une différence qui n’était pas forcément la mienne. J’étais un petit garçon juif français avec un prénom portugais. Maintenant, ça fait quelques années que je m’appelle Jose (rires), je m’y suis fait.  C’est une différence de plus que j’ai eu à mon arc.

Lia : Ça brouille les pistes ! Même si juif et portugais ne sont pas incompatibles. 

José : Ça me fait penser que je n’ai jamais connu Joseph et ce qui est amusant, c’est que je parle énormément de mon autre grand-père. Il ne se passe pas une semaine sans que j’évoque son parcours. En fait, mon rapport avec le Japon est très fort depuis mon époque dans la mode. Tu sais que j’ai commencé dans la mode ?

Lia : Oui et justement ce sont toutes ces facettes qui m’intéressent dans ton parcours. 

José : Et c’est quand j’ai voulu postuler à la villa Kujoyama que j’ai réalisé que mon rapport au Japon avait été bien plus ancien. Mes grands-parents maternelles avaient une entreprise d’arts martiaux, Judogi,  qu’ils avaient créée au début des années 60. Ils importaient tout ce qui avait attrait aux arts martiaux, notamment, une machine qui leur permettait de fabriquer des tatamis dans la Beauce. Et leurs tatamis étaient tellement perfectionnés qu’ils sont devenus les fournisseurs officiels des jeux olympiques pendant plus de 40 ans ! 

Lia : C’est fascinant ! 

José : Ils collectionnaient à la fois de l’art japonais et de l’art moderne, on mangeait avec des baguettes, j’ai grandi avec des références japonaises qui me paraissaient familières et intimes. Pour moi, le suprême exotisme, c’était de voir des grands-parents qui avaient des vaches et des cochons à la campagne, c’était ça l’exotisme total. 

Lia : Et ce n’est qu’au moment de postuler à la résidence à la Villa Kujoyama que tu as fait le lien ?

José : Oui, c’est à ce moment-là. Mon projet consistait à me souvenir des objets que je voyais chez eux et de les transformer. Par exemple, une armure de samouraï qui a marqué mon enfance, j’imaginais la transformer en luminaire nebuta, une technique traditionnelle japonaise qu’à beaucoup utilisé Noguchi. Par ces expérimentations, je parle très souvent de mon grand-père Anatole, personnage haut en couleurs, homme d'affaires et hyper sensible d’origine Russe qui m’avait initié au goût des jolies choses, au luxe. J’ai travaillé chez lui quand j’étais gamin, de mailing publicitaires à des jobs de vendeurs de Kimonos et de Nunchakus…

Lia : C’est intéressant comme, dans le cadre d’une résidence, tu peux te plonger dans une phase introspective que tu n’avais pas explorée auparavant. En l’occurrence, ton héritage familial mêlé à l’héritage culturel japonais. 

José : Complètement. J’avais aussi réinterprété un paravent comme ma grand-mère avait et j’ai laissé apparaître des silhouettes de fantômes. J’aime beaucoup l’idée de fantômes. En fait, j’aime beaucoup les jeux d’illusions. Je trouve ça magique, J’avais également conçu un tapis qui évoque un jardin zen mais qui est l’inverse d’un jardin zen dans lequel tu ne peux pas marcher. Pour la première nuit blanche à Kyoto, en 2011, j’ai présenté un projet qui s’appelle « 24 premiers jours à Kyoto » qui consistait à faire des photos, comme des captations de souvenirs. Les photos que je fais sont toutes prises à l’iPhone, je fixe un souvenir. Je veux pas de retouches, de recadrages. Et j’ai simplement fait des diptyques avec des photos de ma bibliothèque de photos sans rien ajouter : comme deux souvenirs qui se confrontent.

Lia : Donc sans légende ? Une façon de créer un trouble ?

José : Oui, on ne sait pas où sont prises les photos, au Japon ou ailleurs. Et il y en a 24. C’était projeté sur un écran avec un mix de sons des cigales de septembre et de Gagaku.

Lia : C’est une forme de collage, ces diptyques. Tu fabriques une image à partir de deux photographies qui, à priori, n’ont rien à voir. 

José : Complètement. 

Lia : Et pourtant, il y a toujours un élément qui fait lien, un point d’accroche. Une sorte de jeu d’illusion, un « lapin-canard ». c’est une pratique relativement courante en collage de créer une ambiguïté entre deux formes. 

José : Je ne connaissais pas l’expression mais c’est exactement ce que je fais avec les images, toujours en diptyque. 

Lia : Tu en as fait une édition ?

José : C’est marrant que tu me dises ça, justement en ce moment, j’ai envie de faire un livre. Il y a aussi toute une série de paysages enneigés que je suis parti faire à l’invitation d’Air France Magazine il y a quelques années dans la montagne au nord du Sapin, seul avec mon iPhone, une de mes meilleurs souvenirs du Japon.

Lia : Tes diptyques questionnent le regard, par le jeu de l’illusion, comme si il y avait un miroir mais que le reflet n’est pas celui attendu. 

José : J’aime ça, j’ai une fascination pour les jeux d'illusions, pour les miroirs, j’utilise beaucoup les miroirs dans mon travail alors que, étrangement, je me regarde très peu dans la glace. 

Lia : Le miroir a toujours été une grande source d'inspiration pour les créateurs. 

José : C'est très étrange, un miroir. Ça change tout le temps, tu ne sais pas toujours comment le capter, parfois tu te vois dedans mais tu ne te reconnais pas, il y a des jeux de reflets, des surprises. J'aime les surprises. C'est pour ça que ma pratique est si ouverte et que je peux être intéressé par beaucoup de choses. 

Lia : On peut dire que tu te laisses surprendre. 

José : En fait, je suis toujours à l'écoute de nouveaux projets, de recherches. Et mes recherches doivent toujours aboutir à quelque chose de concret. Je n'aime pas l'idée de la recherche pour la recherche. Durant le confinement, Florence Briat-Soulié, m'avait demandé de faire un projet, j'ai fait d'autres diptyques. C'était ce qui se passait pour moi à ce moment-là, ce que je voyais, des fleurs qui poussent, des oeufs verts, des carottes, des films, amis sous des formes différentes, les rapports aux choses étaient si modifiés…

Lia : Une forme de journal photographique du confinement. Encore un projet qui s'inscrit dans une capsule temporelle. D'après ce que tu me décris, ça me fait penser à des rébus.

José: Ah oui, il y a quelque chose comme ça. 

Lia : Finalement, tu fais converser deux images, deux systèmes de signes. On revient à l'idée de rencontre !

José : Oui, les rencontres, les conversations sont des échanges qui me permettent d'avoir de nouvelles idées. Je n'ai jamais d'objet pré-dessiné pour qui que ce soit. D'ailleurs, je ne dessine pas de pièces, je dessine des histoires qui se répondent. Evidemment, chaque pièce doit exister toute seule, indépendamment. On n'est pas toujours obligé d'avoir chaque pièce du jeu. C'est important pour moi qu'une pièce puisse servir, le fait qu'elle puisse rentrer dans une certaine intimité de la personne qui la désire : la promesse doit tenir son engagement.

Lia : On est chez toi et il y a une multitude d'objets, de choses à observer. On est loin du minimalisme. 

José : En effet ! Même si à la fois, j’aime une certaine rigueur, plutôt un cadre en fait. C'est marrant, il y a des objets qu'on garde et des objets qu'on ne garde pas : MYSTÈRE !

Lia : Il arrive même qu'ils se fondent dans le décor à tel point qu'on ne les voit plus. Il suffit d'un autre regard pour que certains objets réapparaissent. 

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