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JOHANNA DE CLISSON

Céramiste, fondatrice de Hiromi.

Nous nous sommes retrouvées dans son atelier de céramique où nous avons parlé de labeur, du vocabulaire des formes, du relief de certaines matières, de l’importance du ludique dans la création. Entre autres…

Lia : Quand j'ai découvert ton travail, j'ai immédiatement pensé à une atmosphère néo-futuriste.

Johanna : Complètement ! Et ce n'était pas prémédité, je n'étais pas spécialement branché Space Age, je viens d'une famille de décorateurs, chez nous il y a des motifs, de la toile de jouy dans tous les sens et c'est comme si j'avais prit le contre-pied de tout ce que j'ai assimilé jusqu'à maintenant. Comme si j'avais fait une sorte de "Reset" pour aller vers quelque chose de minimal. J'ai travaillé des formes archétypales, des cercles, des carrés, des carrons, et c'est l'accumulation de ces formes minimalistes qui ont fait émerger la ligne Hiromi. Il y a eu une première pièce blanche, j'ai réalisé que ça pouvait parler à tout le monde et correspondre à n'importe quel intérieur. J'avais envie de raconter quelque chose de pérenne, ancrée dans l'époque dans sa simplicité. J'ai évité les couleurs, le décoratif pour aller vers l'essentiel.  Tout est venu naturellement, j'ai tiré un fil comme si j'avais été frustré ou compressé dans un rôle qui ne m'avait pas permis de m'exprimer comme je voulais que ce soit. J'avais envie de faire quelque chose de projectif sans forcément proposer de fonctionnalité. Quand on me dit "j'aime tes lampes", ça me chahute. Bien sûr, ça éclaire, ça a la forme d'une lampe mais je trouve ça clivant que tu puisses faire quelque chose de fonctionnel. J'adore rentrer par le prisme de la sculpture, un totem qui ne sert à rien, une suspension en soucoupe volante. L'idée que tu peux te réapproprier l'objet en fonction du rôle qu'il pourrait avoir chez toi. Et j'aime l'idée que ça puisse ne servir à rien. Par exemple, les Pac Man en céramique, tu en installes quinze sur un mur, ça fait une sculpture murale, si tu n'en met qu'un ça peut effectivement être une applique.

Lia : La référence à Pac Man confère une dimension ludique aux formes.

Johanna : L'univers enfantin est récurrent dans mon travail. Il faut que ce soit décomplexé, il faut que ce soit drôle ! Comme un retour aux fondamentaux. Une sorte d'alphabet de formes, un vocabulaire.

Lia : Ça me fait penser à une conversation que nous avions déjà eu concernant l'acte de créer, il y a toujours un aspect qui nous échappe, tout n'est pas prémédité, bien que tous les éléments sont déjà présents quelque part dans ton cerveau. Les inspirations assimilées au fil du temps et qui peuvent ressurgir d'une façon ou d'une autre.

Johanna : Bien sûr, c'est le fil rouge et heureusement qu'il est là !

Lia : Je pense aux formes et aux références de certaines de tes pièces, as-tu été inspiré par Oscar Niemeyer ?

Johanna : Bien sûr, j'adore son travail d'ailleurs comme Tadao Andō. Ce sont des inspirations fortes, bien sûr je ne me compare absolument pas à eux. Quand le vocabulaire des formes est simple, ça ouvre un champ des possibles incroyables.Une forme d'accessibilité qui se met en place de manière inconsciente et presque réconfortante. On m'a déjà parlé de mes pièces comme si c'était des doudous qu'on pourrait adopter.

Lia : Chaque objet à une âme si j'ose citer Lamartine. Celle qu'on lui transmet au moment de sa création et celle que l'on lui attribue au moment de l'acquisition.

Johanna : Bien sûr, l'âme du temps passé, des pièces que tu récupères, celles qui ont vu des histoires et aujourd'hui pour donner cette possibilité aux objets je pense qu'il faut aller vers une simplicité extrême.

Lia : Un peu comme un terrain vierge.

Johanna : Absolument, et ce terrain vierge passe par le fait que les pièces soient blanches. Au début, je ne voulais travailler que la terre lisse, mettre du grain ça me perturbait et puis j'ai découvert la terre chamottée, avec du grain, et j'ai trouvé que ça apportait une magie à l'objet. Justement, cette idée d'ancrage, d'histoire et de pérennité... Un peu comme ajouter du grain sur une photo, une photo à grains réveille les émotions, bien plus qu'une photo ultra glossy et lisse.

Lia : Bien sûr, il y a une mise en relief. En effet, quand on voit une photographie dans le cadre d'une exposition, on a envie qu'elle nous procure autre chose que la vision que l'on a à travers l'écran lisse et brillant. Et tes pièces, on a envie de les toucher. Es-tu influencé par le japon (je pense au nom Hiromi notamment) ?

Johanna : J'ai beaucoup beaucoup été au Japon et je pars du principe que la création passe par une forme d'ascétisme et de contrainte. J'aime les choses qui sont maîtrisées, un peu raides. Je trouve que le labeur rend souvent la création plus belle, j'aime les propositions qui se font dans un aspect global. Je pense que c'est un contre-point que j'ai prit quand je suis sortie des Arts décoratifs, j'étais photographe, c'était le début de l'ère numérique, on shooté à la chambre, on faisait des natures mortes avec des éclairages incroyables qu'on mettait des heures à installer pour faire un pola. Il y avait vraiment une notion de pénibilité, d'expertise, de connaissance de ton médium que je trouvais génial. Et puis le numérique est arrivé et tout le monde est devenu photographe, tout le monde pouvait faire des images. Ça m'avait beaucoup perturbé, je trouve qu'une proposition ce n'est pas une belle image, tout le monde est capable de choper un moment volé, de faire un truc chouette une fois. Alors que ça prend du sens quand il y a un discours derrière, une réflexion. Selon moi, il faut être ancrée dans une démarche globale et qui n'est pas opportuniste. C'est à ce moment là où j'ai décidé de ne pas être photographe et de proposer des univers plus globaux. Aujourd'hui, on retrouve une filiation avec le japon dans mon approche. Mes propositions créatives sont pensées, radicales, raides, monacales.

Lia : Hiromi, ça veut dire quelque chose en particulier ?

Johanna : La première fois que je l'ai entendu c'était le prénom d'une amie d'une personne avec qui je travaille. Et je me suis dit que mon travail de céramique s'appellerait Hiromi. Un vrai coup de coeur, un flash !

Lia : Comme une évidence !

Johanna : Dans Hiromi, avec ma tête de graphiste, typographe, j'ai vu plein de droites verticales, avec le H, les barres du M et les I, et ce grand rond, ce O qui était la matrice, la féminité. Et c'est à postériori que j'ai découvert avec Danielle, la signification du prénom qui veut dire "Beauté libre d'esprit". Ça m'a beaucoup plu, je me trouvais en phase avec ce prénom.

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