conversation
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NAOMI HAN CHIAO
photographe et céramiste
Avec Naomi, nous nous étions rencontrées la première fois lors du vernissage Des Unions à la galerie Madé, quelques jours avant le confinement, c'était en 2020.
Des amis en commun, des soirées endiablées, nous nous recroisons ponctuellement. Quand j'ai découvert son travail artistique, entre céramique et photographie, j'ai littéralement été subjugué par l'atmosphère à la fois poudrée et incisive qui s’en dégage.
Nous nous sommes retrouvées à son atelier dans le 9e au milieu de ses pièces, nous avons parlé de contradictions, de mise à nu, d'individualité, d’émancipation, de représentations sexuelles et de la liberté de créer sans contrainte.
Entre autres...












Lia : Avant de te mettre pleinement à la céramique, tu étais photographe de mode. Qu'est-ce qui t'a amené à manipuler la terre ?
Naomi : Mon ex mari m'avait offert un cours de céramique en 2017 pour apprendre le tournage, j'y allais aussi souvent que possible pour m'échapper de la tension de relation couple et aussi du milieu de la mode qui ne me convenait pas vraiment. Petit à petit, j'avais envie d'apprendre encore plus, de passer du temps à créer, j'ai eu envie de faire des plus grands formats alors j'ai pris un jour en atelier par semaine jusqu'à ce que je trouve mon propre espace. Mais ça avait pris du temps, je testais beaucoup de terres différentes. Puis, j'ai fait une série en grè noir de pièces non fonctionnelle. Une amie a découvert la série et m'a encouragée à continuer sur cette voie.
Lia : Comme quoi, un regard extérieur peut nous ouvrir les yeux !
Naomi : Oui, avant je ne me permettais pas vraiment de croire en ce que je faisais, surtout en tant que mère asiatique, je suis très pragmatique. Pour moi, il fallait que ça puisse être rentable pour changer de métier. Grâce à l'argent gagné par mon métier de photographe, j'ai pu développer, réfléchir à ma nouvelle pratique.
Lia : Quand j'ai découvert ton travail, les céramiques étaient mises en scène avec ton corps nu dans une atmosphère photographique très particulière, à tel point que je ne te voyais pas seulement en tant que céramiste mais en tant qu'artiste performeuse, photographe et céramiste. Les céramiques et le corps se répondent.
Naomi : Je n'avais aucun background dans l'art, je ne savais pas comment distribuer mon travail mais j'avais compris qu'Instagram était une vitrine. Au tout début, je faisais ces photographies pour qu'on puisse comprendre l'échelle de mon travail avec le corps. Associer du nu avec des céramiques, y a un côté facile, il y a une certaine passivité dans la nudité, tu ne trouves pas ?
Lia : Oui et non. Bien sûr, il y a un côté séduisant et je dirai même hors du temps. La femme artiste qui se met à nu, bien que ce ne soit pas récent, c'est une forme de réappropriation de soi en brisant le mythe de la muse.
Naomi : Oui, on peut le voir comme ça. D'ailleurs, personne ne savait que c'était moi. On ne voyait quasiment jamais ma tête au début. J'essayais de ne pas trop réfléchir, aujourd'hui, je trouve que ça fait une liaison entre mon travail et mon corps.
Lia : Le nu étant de plus en plus censuré sur les réseaux, c'est presque devenu un acte de revendication. La nudité telle que tu l'exploite, je ne l'ai pas perçu comme un cliché mais plutôt comme un contrepied à la photographie de mode censée mettre des produits en avant.
Naomi : Je ne me suis jamais sentie à l'aise dans le milieu de la mode, comme si je voulais être quelque chose que je ne suis pas. J'ai essayé de surfer sur la vague mais je suis toujours derrière la vague. Quand j'ai commencé à photographier mes céramiques avec une mise en scène personnelle, j'étais libre, je le faisais sans contrainte, ce n'était pas une commande, ce n'était pas pour un client. J'ai poussé à fond la mélancolie, ce qu'on ne m'avait jamais permis en tant que photographe de mode. Parce que dans la mode, il faut vendre de la joie, du rêve, cacher la misère...
Lia : Quand on n'a pas l'intention de vendre au départ, on se laisse porter par une liberté absolue.
Naomi : J'ai tellement été habitué à travailler avec des contraintes et en même temps, avec ma culture asiatique, j'ai toujours été une très bonne élève. Quand je dis "Bonne élève" ça ne veut pas dire être douée, mais ça veut simplement dire que si on me dit de ne pas dépasser le carré, en tant que bon asiatique, je ne toucherai même pas le bord. On peut dire que j'étais très sage, c'est un conditionnement. Ici, je me re-découvre — expérience de travail, acceptation de mes émotions et redécouverte sexuelle même si ça peut sembler tard." (rires)
Lia : Ce n'est jamais trop tard ! Le tout est d'assumer qui on est, qui on a envie d'être.
Naomi : Oui, peut-être dans nos milieux mais pas dans tous les milieux.
Lia : Je comprends, on peut avoir peur du jugement des autres mais qu'est-ce qui compte le plus ? Justement, après la quarantaine, personnellement, je me sens libérée du regard des autres.
Naomi : Oui, il faut arrêter de tout prendre trop au sérieux. J'aime bien recevoir des critiques, c'est important de recevoir les critiques, on ne va pas se vexer comme quand on avait 20 ou 30 ans. Je n'aime pas qu'on me caresse dans le sens des poils, je ne suis pas sûre que ce soit très sain.
Lia : On dénote un certain humour dans les formes de tes céramiques.
Naomi : J'adore l'idée que mes pièces portent un sens de l'humour !
Lia : Il y a beaucoup de douceur et à la fois des zones plus agressives qui questionnent. Dernièrement tu as posté une pièce dont la forme rappelait celle de couilles.
Naomi : Tu vois beaucoup de sexualité dans mes pièces ?
Lia : Absolument ! Autant de références au sexe féminin que masculin.
Naomi : Ce que je veux transmettre dans mon travail, c'est justement quelque chose de contradictoire, de l'extrême féminin à l'extrême masculin, de la douceur et de la violence. Ce que je dis à ma kiné, sans douleur, j'ai l'impression que je ne pourrais pas avoir quelque chose de bien.
Lia : Un peu maso non ?
Naomi : Peut-être (rires) ! C'est surtout lié à l'effort physique, si j'ai une séance de sport et le lendemain, je ne ressens rien, ça m'énerve. J'ai un peu ça avec le travail aussi. Quand on ne me connaît pas, et que je ne souris pas, j'ai l'air très sévère. Je suis mal à l'aise socialement quand je ne connais pas les personnes, à l'inverse, quand je suis avec mes amis, je suis hyper à l'aise, on dirait presque que je suis sous substance ! (rires)
Lia : C'est une forme de timidité, comme toi, certaines personnes pensent que je suis snobe alors qu'en fait, il s'agit d'une gêne sociale.
Naomi : Je dois avouer aimer peu de personnes.
Lia : Et pourquoi pas ! Les quelques personnes que tu aimes, tu les aimes sans doute pleinement. On ne peut pas aimer tout le monde comme on ne peut pas être aimé de tout le monde et c'est tant mieux !
Naomi : Tu sais quand on crée un objet, c'est comme un enfant qui vient de naître, tu ne sais pas si tu vas l'aimer. Et puis, quand l'enfant est là, on l'aide à s'élever avec sa propre individualité.
Lia : Oui, c'est juste, créer, c'est donner vie, matérialiser une idée, une inspiration avec tout ce que ça implique.
Naomi : Tout le monde voit les choses différemment, on ne peut pas tout maitriser. C'est pour ça que je ne donne pas trop d'explications à mon travail, chacun voit ce qu'il veut voir parce que dans le fond, It doesn't fuck really matters!
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