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AUDREY GUIMARD
Artiste sculptrice et scénographe
Nous nous sommes retrouvées dans son atelier où nous avons parlé d’archéologie, de la valeur que l’on donne aux choses, aux dimensions totémiques, d’anachronisme, de pierres tendres. Entre autres.
Lia : Tu travailles la pierre, les roches. Ton travail s’articule essentiellement autour de la mythologie, de la cosmogonie. Quelles sont tes sources d'inspirations ?
Audrey : Je crois que c’est un effet boomerang à partir de ce que me passionnais quand j’étais gamine. Au delà de la mythologie, c’est plutôt une approche archéologique. Aussi loin que je m’en souvienne, je me plongeais dans des livres sur l’Egypte, les arts Mésopotamiens et ça a été fondateur dans mon approche visuelle. Tu sais, c’était l’encyclopédie avec des photos détachables, il y avait des fonds bleus saturés, des pierres blanches, toute cette esthétique des formes m’a beaucoup marqué. Le fait aussi d’avoir grandit à la montagne, d’être entourée de minéral. Quand j’enseigne à des enfants, je leur demande quels sont leurs premiers souvenirs avec la pierre. Tu vas sur la plage, tu ramasses des galets, tu construis des cabanes. Tu crées des formes imaginaires, habitables ou pas. Il y a toujours un lien avec l’architecture.
Lia : Je me souviens avoir ramassé des tonnes et des tonnes de galets au bord des rivières au Portugal et d’avoir construit toutes sortes d’univers à partir de ces éléments collectés.
Audrey : Complètement ! Je continue de grappiller et collecter des pierres, ça ne m’a jamais quitté.
Lia : Les considères-tu un peu comme des amulettes ?
Audrey : Il y a vraiment ce truc de chercher le trésor, même infime. C’est toute la valeur que tu donnes aux choses. Il y a un rapport totémique, des assemblages verticaux. Quand j’ai réalisé ma première sculpture en pierre, j’ai instantanément retrouvé ce kiffe de l’enfance. Avec la série que je suis entrain de réaliser qui s’appelle ''Artefact'', c’est clairement un hommage de tout ce que j’ai pu observer jusque là. Des formes à la fois primitive et universelle.
Lia : Finalement, tout ce qu’on assimile dans notre mémoire, parfois sans même sans rendre compte, fini par ressurgir à travers nos démarches artistiques . C’est toute la magie du processus créatif et d’une temporalité qui nous échappe. La pierre, elle-même, incarne le temps qui passe. Je pense aux fossiles mais aussi aux menhirs avec tout le mystère qui les entoure. Ce sont des vestiges qui ont traversé des siècles et des siècles.
Audrey : Complètement. Il y a aussi les propriétés telluriques des roches. Ce qui est incroyable avec la pierre, comme toutes les matières, c’est qu’elles emmagasinent des énergies. Toute cette imbrication historique révèle un potentiel magique pour moi. J’y fais allusion dans un texte, « qu’est-ce qui va survivre de notre passage sur terre ? ». La pierre c’est la terre, c’est le temps.
Lia : Tout à fait. La pierre résiste à l’eau, résiste au feu. Ce qui n’est pas le cas du papier. Le papier demeure une matière fragile. Je crois que c’est aussi ce qui m’attire dans le papier, précieux par son côté éphémère, ce qui nous échappe. Comme toi qui collecte les pierres, j’ai ce rapport avec le papier. Parfois, je le transforme en réalisant des collages, parfois il me sert de support d’inspiration.
Audrey : Quand j’étais scénographe, ce qui m’a toujours intéressée, notamment par rapport à la problématique de la conservation, c’est de réutiliser des matières jetables afin de créer de nouvelles scénographies. Plastiques, cartons, vaisselles ou verres cassées. J’ai toujours prit du plaisir à recontruire à partir de certains matériaux. Et quand j’ai arrêté de travailler dans la scénographie, j’ai également arrêté de travailler avec des déchets comme le plastique ou le carton et suis revenue aux matières que je glanais comme la pierre, le bois, la terre. C’est là que ma démarche a commencé à se préciser. Ma première rencontre avec la pierre que j’ai transformé au niveau du volume avec un travail de taille, c'était avec une pierre calcaire extraite des falaises de Saumur. Une craie, c’est la sédimentation des fossiles. C’était incroyable, un peu comme un kinder surprise ! Parce que je suis autodidacte, je n’avais aucune technique au départ et j’ai commencé à sculpter avec des fourchettes, des couteaux (rires). Avec cette pierre tendre, on peut se permettre d’utiliser des outils qui ne sont pas dédiés à tailler la pierre.
Lia : Je ne connaissais pas le terme de « Pierre Tendre ». Ça semble tellement antinomique !
Audrey : À l’inverse, il y a les pierres dites « dures » comme le granit, le marbre. Auquel je ne me suis pas encore frottée. J’aime bien le geste de la main sur la pierre que permet la pierre tendre, ça me met dans un état de transe.
Lia : Ça me fait penser à Barbara Hepworth. Lors de l’exposition qui lui était dédiée au Musée Rodin, il y avait une vidéo où on la voyait sculpter, taper la pierre, la matière brute. Le son lié à son geste avait quelque chose d’apaisant, comme une mélodie de la taille liée à une chorégraphie du geste. Cette scène m’avait beaucoup impressionnée.
Audrey : Il y a vraiment un rituel autour de la pierre, comme avec la terre et toute forme d’artisanat. Son aspect brut peut être trompeur. Il y a une approche sensuelle et humble dans le travail de la pierre. Si on tape au mauvais endroit, tout peut exploser.
Lia : Plus fragile qu’il n’y paraît. Les apparences sont souvent trompeuses.
Audrey : On en a jamais vraiment parlé mais on a toutes les deux une sensibilité à la matière, il y a une similitude dans notre approche artistique où l’on retrouve des influences astrales, minérales, végétales.
Lia : Oui, c’est juste, même si on ne l’a pas vraiment verbalisé jusque là. Et autour de la féminité à travers diverses formes et inspirations, je pense notamment à ta série Téthys influencée par la mythologie grecque. Je crois que pour l’une et l’autre, les notions de mémoire collective et d’héritage constituent nos ressources premières. Comme évoqué avant, le papier a une durée de vie incertaine ce qui n’est pas le cas de la roche, la pierre. Comment vis-tu le fait de créer des œuvres qui, de façon quasi certaine, sont vouées à demeurer telle que tu les as créés ?
Audrey : Je ne me suis jamais vraiment penchée sur cette question. Mais c’est vrai que si il y a une catastrophe naturelle, ces pièces sont vouées à survivre.
Lia : Même avec la roche calcaire qui semble friable ?
Audrey : Une fois poncée, la roche calcaire devient extrêmement dure. Ce qui est fascinant, c’est que ce sont des matières qui évoluent selon la manière dont tu les traites. Tu vois les pyramides égyptiennes ? Elles ne sont constituées que de pierres calcaires.
Lia : Impressionnant ! Pour revenir à la série Téthys, tu as incrusté des coquillages sur la roche, tu as aussi laissé des empreintes semblables à des fossiles. Comment t’es venue l’idée de faire ces assemblages ?
Audrey : Je note dans un carnet des associations de matières et quand je range mon atelier, je fais un état des lieux des matières. Comme toi, j’ai cette passion des brocantes (rires). J’ai constitué une collection de coquillages que j’avais commencé il y a 15 ans. J’aime bien la lumière, les transparences que tu peux trouver sur les coquillages. Téthys est la déesse de la mer, celle qui personnifie le pouvoir fécondant de l’eau. J’aime bien le nom « Téthys ». Et comme tout artiste, comme toi sans doute avec le collage, quand tu es dans le faire, des liens se dévoilent.
Lia : Oui, c'est juste. Le collage démarre souvent instinctivement et c’est au fil de l’assemblage que la lecture ou l’interprétation apparaissent comme une évidence. C’est une façon de matérialiser des idées qui jusque là flottaient dans l’inconscient.
Audrey : Exactement. Le fil rouge que je tisse dans mon travail me ramène à mes lectures d’enfance. En ce moment, je travaille sur un projet d’assise et avec tous les éléments que j’ai commencé à assembler, bruts, lisses, il y a ce prénom féminin « Constantine » qui a surgit. J’ai réalisé que c’est lié à Constantin Brâncuși, un artiste que j’admire énormément et que je considère comme l’un de mes maitres. Un mystique, un berger qui a développé toutes ces formes universelles et sublimes.
Lia : D’ailleurs, tu accompagnes souvent les œuvres de textes que tu écris et qui nous éclairent sur l’origine de tes inspirations.
Audrey : J’aime bien montrer ce qui se cache derrière la matière et ne pas simplement donner les dimensions et la technique de l’œuvre.
Lia : Je comprends, une certaine façon de dépasser la matière. À l’inverse, les collages étant constitués de plusieurs sources visuelles, j’essaye de ne pas orienter la lecture en dehors de la composition elle-même et de son titre qui apporte un écho. J’aime bien laisser la possibilité au regardeur d’interpréter les collages.
Audrey : Ça doit être riche de connaître l’interprétation des autres personnes même si tu donnes des clés comme les pièces d’un puzzle qu’on peut assembler au fur et à mesure. Un peu comme une histoire qui s’écrit à partir de plusieurs récits.
Lia : Le projet que nous avons ensemble de faire dialoguer nos univers à travers plusieurs dimensions révèle une nouvelle forme de récit. Entre les pierres, les roches, les coquillages en tant qu’objets palpables et la photographie de ces objets voués à être aplatis et assembler à plat. Tes sculptures qui prennent place dans l’espace en 3D et les collages qui jouent avec les échelles sur un espace en 2D. Un projet en tandem qui soulève des questions sémiologiques !
Audrey : Oui, alors qu’on vit dans un rapport ultra digitalisé, j’ai vraiment besoin de voir, de palper, d’être confronté aux éléments. Dans tes œuvres, ces changements d’échelle, ça apporte précisément une dimension anachronique. Le fait que certaines choses puissent paraître dissonantes, ce n’est pas grave, au contraire ça interroge.
Lia : C’est le propre du processus créatif. Puiser au fond de notre mémoire des éléments qui n’ont parfois rien à voir les uns avec les autres et qui finissent par s’assembler et permettent ainsi une mise en lumière que l’on ne pouvait pas soupçonner. Finalement, on pense faire instinctivement mais le geste serait le révélateur de la pensée, comme une sculpture de l’esprit. Je vais peut-être un peu trop loin.
Audrey : Non, non. On en avait déjà parlé. La notion de l’accident, accepter que des choses se cassent et rebondir dessus, s’autoriser certains rapprochements, à la manière du surréalisme, je trouve que c’est une porte qui s’ouvre à toi et qui te permet d’évoluer dans la pratique artistique. On parlait d’échelle, avant que je fasse des volumes, j’ai toujours été attiré par le détail de la matière. Depuis gamine, je scanne, je zoome, comme un besoin de percevoir en macro pour pouvoir me projeter. Parfois un élément n’est pas beau dans sa globalité mais un simple détail peut faire sens.
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