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BEAT FRANK

Designer

De la Bibliothèque-Fauteuil à la Lesemobile, en passant par les sièges réalisés pour le couvent de la Tourette, c’est au sein de la galerie Romain Morandi que j’ai eu le plaisir de découvrir le mobilier de Beat Frank, designer Suisse.

À l’occasion de la sortie du livre “Beat Frank, Using sculptures in life” ed. Clandestin, j’ai eu l’occasion de rencontrer Beat Frank.

En face à face, chacun assis sur le mobilier que Frank a pensé et réalisé, lui sous l’une de mes oeuvres, nous avons navigué entre le français et le suisse-allemand (ici traduit intégralement en français) pour évoquer sa manière d’envisager les objets, l’énergie qui circule, l’importance de composer entre l’ombre et la lumière ainsi que notre manière de vivre avec le mobilier.

Entre autres.

Lia : J'ai découvert votre travail à la galerie Romain Morandi. Cette bibliothèque dans laquelle je suis assise, représente pour moi, la bibliothèque idéale, celle qui rend accessible les livres à portée de main. Comment l'idée vous est-elle venue ?

Beat : Il y a quelques années,  après avoir conçu l’imposant “Objekt /Bücherhaus”, une bibliothèque dans laquelle on pouvait rentrer et où l’on trouvait les livres à l’intérieur et à l’extérieur de la structure, je cherchais une solution plus accessible pour mettre les livres autour de moi. Quand on aime les livres, on aime les avoir autour de soi. Il y a aussi l'aspect sculptural qui m'intéresse. Je ne veux pas que ce soit statique, quand on regarde l'objet, l'objet se fait en le regardant, il évolue avec le regard. Quand vous êtes assise, il ne faut pas que vous vous sentiez enfermée, c'est une question d'équilibre. 

Lia : On se sent presque comme dans une cabane, un cocon où on a envie de plonger pleinement dans la lecture.

Beat : Oui, c'était important pour moi que le fauteuil soit fermé au dessus. Il y a toujours plusieurs aspects autour de l'objet, par sa forme, par ses matériaux. Pour ce fauteuil, j'ai utilisé du Seekiefer, généralement utilisé pour fabriquer des boîtes dans lesquelles on range des images. J'aime beaucoup l'idée de travailler avec un matériau pauvre qui, lorsqu'on le transforme, lorsqu'on l'habite, peut devenir noble. 

Lia : Comme un livre finalement, la structure n'a de sens que si le contenu en a un également. 

Beat : Quand je conçois un objet, il y a toujours un moment où je décide que sa structure doit se terminer, "wenn es stimmt", quand il y a un rythme et que l'énergie circule. Les objets devraient être comme s’ils s’étaient construits eux-memes.

Lia : Comme une évidence. 

Beat : D'une certaine manière, les objets se font par eux mêmes.

Lia : Le mobilier prend vie quand on habite avec, quand on circule autour comme si la présence humaine réveillait l'énergie que vous citiez précédemment. Vous travaillez aussi avec l'environnement, la lumière, les ombres, je pense notamment aux chaises réalisées pour le convent de La Tourette.

Beat : Oui, cette chaise se forme par la lumière. Quand j'ai visité le couvent de la Tourette de le Corbusier,  j'ai découvert la construction de la façade de Iannis xenakis, musicien et ingénieur. Les fenêtres laissaient entrer la lumière comme une partition dans le réfectoire. Sans réfléchir, j'ai posé une chaise et elle a trouvé sa place dans la lumière. Mes pièces ne doivent pas être seulement conceptuelles, elles doivent jouer avec les formes et la lumière. Le directeur du musée Vitra a écrit un petit texte sur la manière de voir la chaise de tous les côtés. Je regarde toujours le rythme que l'objet propose, l’énergie se développe. 

Lia : En effet, c'est fondamental de considérer la circulation autour de l'objet, selon l'axe, nous ne le voyons pas de la même manière. 

Beat : Pour moi, l'énergie et la forme sont essentielles à l'objet, c'est une clef dans mon processus créatif. C'est simple.

Lia : Je reviens à ce fauteuil qui est à la fois complexe et à la fois évident.

Beat : C'est un objet avec lequel on vit, on lit, on peut aussi boire un café et le poser.

Lia : Parlons de votre bureau mobile, un petit bureau à roulettes, c'est juste génial ! On revient à l'idée de circulation, seulement, dans ce cas de figure, c'est le meuble qui bouge. 

Beat : La "Lesemobil" a été pensé pour une librairie. L'idée était de travailler sur la mobilité silencieuse. Quand on est trop statique, trop figé, on se met sur la "Lesemobil" et ça libère l'esprit. 

Lia : La lecture permet de nous évader et avec la "Lesemobil", on peut s'évader doublement, à la fois par l'esprit et à la fois physiquement, j'adore cette idée ! Ça me fait penser au lit de Little Nemo. 

Beat : Je cherche toujours l'évidence, la solution. Ça me plait beaucoup de travailler sur un objet jusqu'à ce qu'il apparaisse comme une évidence, je ne sais pas trop comment et pourquoi à un moment, la conception s'achève et l'objet existe. C'est sans doute similaire pour vos collages. 

Lia : Oui, quelque chose m'échappe, je ne sais pas vraiment ce qui m'amène à terminer un collage. Sans doute une forme d'harmonie proche d’une épiphanie. 

Beat : Oui, c'est un secret, “Ein Geheimnis”. Quand on est pleinement dans la création, on a l'impression que le temps flotte, on est libéré du temps. 

Galerie Romain Morandi - 18, rue Guénégaud Paris 6e

“Beat Frank, Using sculptures in life”, Judith Luks, editions Clandestin, 2024

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