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ELIZABETH FRESNEL

Phoniatre et fondatrice du Laboratoire de la Voix.

Médecin spécialiste de la voix, auteure de plusieurs ouvrages notamment sur le trac et la communication, Elizabeth Fresnel accompagne depuis une quarantaine d’années des chanteurs, comédiens et orateurs dans la maitrise de leurs voix.

Nous nous sommes retrouvées chez elle où nous avons parlé de la voix comme d’un instrument de musique, révélatrice de nos émotions et états psychiques, de la manière d’entretenir la voix, de trouver notre voix ainsi que de l’intelligence artificielle. Entre autres…

Lia : Pouvez-vous me dire en quoi consiste le métier de phoniatre ?

Elizabeth : Phoniatre est un médecin spécialisé dans la communication c'est-à-dire la voix, le langage, la parole et l’audition. Il y a longtemps, j’ai monté le Laboratoire de la voix en mettant en commun des professions qui s’apportent mutuellement leurs savoir. En tant que fondatrice et phoniatre, j’ai réuni des orthophonistes, spécialisés dans la rééducation de la voix, un professeur de chant, un ostéopathe, un kinésithérapeute et des psychologues, parce que j’ai longtemps travaillé sur le trac, l’anxiété de performance. Après 25 ans de loyaux services, le Laboratoire de la voix n’a pas résisté à la énième augmentation de loyer en 2020, l’année du Covid. 

Lia : Le covid qui s’attaquait aux voix respiratoires, vous deviez être très sollicitée ? 

Elizabeth : En tant que médecin, j’ai continué à travailler bien que mon activité était réduite. C’était une période dramatique pour les artistes qui ont vu leurs contrats annulés. Certains ont continué à travailler, entraîner leurs voix, notamment les chanteurs d’opéra. D’autres étaient tellement désespérés, qu’ils ont totalement arrêté. Quand les restrictions ont été levées et que les spectacles ont recommencé tout doucement, ceux qui avaient arrêté de s’entraîner, avaient beaucoup de difficulté à reprendre. 

Lia : La voix nécessite un entraînement comme tout instrument de musique ? 

Elizabeth : Le chanteur c’est l’équivalent d’un pianiste, un instrumentiste. De la même manière, tous les jours il doit faire des gammes, il s'entraîne, c’est important sur le plan respiratoire musculaire, tendineux pour garder une flexibilité, une habileté. La voix notamment chantée, particulièrement lyrique, nécessite d’être entretenue. Dans les cordes vocales, il y a un muscle vocal qui risque de s’atrophier s’il n’est pas utilisé. Par exemple, les gens qui vivent seuls et ne parlent pas, on leur recommande de s'entraîner à lire à haute voix pour conserver leur activité vocale. 

Lia : D’ailleurs, nous n’avons pas la même voix au réveil, après de longues heures de silence et le soir, selon le rythme de paroles de chacun. Il existe plusieurs facteurs qui peuvent modifier la voix, comme l’alcool, les cigarettes ?

Elizabeth : Oui, certains facteurs contrarient la voix comme le tabac, l’alcool mais aussi certains médicaments, la sécheresse de l’air, les troubles digestifs et le défaut d’hydratation. J’en profite pour dire qu’il faut boire environ 6 à 8 verres d’eau par jour.  La voix est aussi un indicateur fidèle des émotions. La joie, la peur, la tristesse sont autant d’émotions qui transparaissent dans la voix. Les personnes déprimées ont des voix très peu intonatives, leurs fréquences vocales vont très peu varier. La voix est un reflet de l’état psychique.  

Lia : Notre rapport à la voix, aux voix, est intimement lié à l’ouïe. D’ailleurs, selon la sensibilité de chacun, nous pouvons fantasmer une voix ou au contraire ne pas en supporter certaines.

Elizabeth : On contrôle sa propre voix grâce à l’audition et à notre cerveau. Plusieurs études ont démontré que les voix les moins appréciées sont majoritairement les voix aiguës, stridentes. Au contraire, les voix graves sont considérées comme plus sensuelles, plus apaisantes. Ensuite, la voix est assez unique chez un individu, de la même manière que vous allez apprécier un tableau ou pas, vous apprécierez une voix que d’autres n'apprécient pas et vice versa. Finalement, c’est très subjectif. 

Lia : Certaines voix sont plus propices à l’apaisement, vous évoquez les voix graves par exemple. Dans le cadre d’une hypnose, typiquement, il est plus facile de plonger dans un état hypnotique lorsque la voix qui nous amène à la détente émet des vibrations basses. Je pense aussi au phénomène de l’ASMR. Qu’en pensez-vous ? 

Elizabeth : Disons que les fréquences aiguës dérangent l’oreille, c’est lié à l’acoustique. Donc, si nous sommes perturbé au niveau auditif, forcément on ne peut pas se détendre. L’un des motifs de consultation chez le phoniatre, c’est de vouloir changer la voix, des personnes qui ne supportent pas leur propre voix, souvent qu’ils considèrent comme étant trop aigüe. Cependant, l’auto-évaluation n’est pas toujours juste. Et quand on fait les mesures acoustiques, on constate que, bien souvent, la voix est dans le médium. 

Lia : Donc, on entend pas notre voix telle qu’elle est réellement ? Quelle en est la cause ?

Elizabeth : Nous sommes les seuls à percevoir notre propre voix par deux canaux, auditif et osseux vibratoire qui disparait dans les enregistrements, ce qui dérange.

Lia : La voix peut-elle conférer une certaine autorité, une présence ? 

Elizabeth : Il y a quelques années, j’ai suivie une femme qui devait postuler à un poste haut placé et dont la voix était trop aigüe, on a travaillé pour la rendre plus médium. Elle a obtenu un poste encore plus haut placé dans une autre société. 

Lia : C’est fascinant… Et au-delà de la voix, il y a aussi la cadence, le rythme et les silences avec lesquels on communique ?

Elizabeth : En effet, ça s’appelle la prosodie. On va revenir à la genèse de la voix si j’ose dire. La voix se caractérise par trois paramètres, la hauteur ou la fréquence, naturellement les voix graves, médiums ou aigües, ensuite l’intensité qui se mesure par décibels, et enfin le timbre, ce qui permet de reconnaître une voix. Et donc, en même temps, il y a la prosodie, c’est le rythme, le débit, les silences qui peuvent dire beaucoup, et tout cela est lié à la respiration. D’ailleurs, on devrait apprendre à tous les enfants à mieux respirer à l’école. Les enfants parlent de plus en plus fort, leur niveau sonore est au dessus des normes, c’est terrible. Et lorsque l’on parle trop fort, lorsque l’on hurle, on développe une altération de la voix qui va se transformer en nodules, des lésions bénignes et réversibles. J’ai l’impression qu’on vit dans un milieu trop bruyant et que l’on tente de se faire entendre. Le cerveau va ajuster automatiquement votre intensité vocale au niveau du bruit mais on ne peut pas continuer à monter une échelle indéfiniment.

Lia : Tout va tellement vite, on assiste à une accélération dans tous les domaines et sans doute que cette manière de s’exprimer, plus forte, plus rapide, plus impulsive aussi, est liée au besoin de se faire entendre comme vous le dites. Une manière de s’affirmer. 

Elizabeth : Bien sûr, on le constate au sein de fratries, si on prend par exemple une fratrie de trois enfants, c’est souvent celui du milieu qui a des problèmes de voix, l'aîné bénéficie du droit d'aînesse et le dernier est souvent le petit chouchou pour qui tout est permis. On écoute moins celui du milieu. En réalité, c’est du bon sens. 

Lia : Il existe des voix qui semblent varier de fréquences, à quoi est-ce dû ?

Elizabeth : C’est l’intonation. Les voix intonatives sont appréciées, d’ailleurs c’est un facteur esthétique. À l’inverse, il y a des tons très monotones qui varient peu leurs fréquences, c’est ennuyeux et soporifique. Chez les orateurs et notamment les hommes politiques, d’ailleurs ils devraient tous apprendre à utiliser correctement leurs voix, certains vont dire des choses pertinentes mais avec une mauvaise voix et personne ne va les écouter et à l’inverse, certains vont dire du vent mais avec une voix formidable qui va subjuguer son auditoire. L’exemple malheureux de l’histoire comme Hitler qui galvanisait les foules en aboyant et les SS qui aboyaient comme le « chef » par mimétisme gagnaient en autorité. 

Lia : Le mimétisme se caractérise à bien des niveaux en effet…

Elizabeth : La voix des enfants par rapport aux parents, aux frères, sœurs et encore plus étonnamment chez les jumeaux qui ont des voix quasi identiques. 

Lia : La voix révèle un état d’esprit, le niveau de confiance en soi ? 

Elizabeth : Absolument, la voix dit beaucoup, la façon d’utiliser la voix est très troublante. Une voix est liée à la respiration et la posture, tant de facteurs jouent sur la physiologie de la voix. Donc si on se tient droit, la voix sera plus claire, plus audible. 

Lia : La voix donne du relief à la personnalité. Je pense aux applications de rencontres uniquement basées sur des images. C’est perturbant quand on y pense. Sans la voix, il manque une grande part de la personne, de sa présence. 

Elizabeth : Oui, d’ailleurs, c’est le problème avec les voix de radio, on les entend, on les imagine, on les fantasme. Quand on fait un jury d’écoute qu’on appelle naïf, constitué de personnes qui ne sont pas spécialistes de la voix et lorsqu’on leur fait entendre des voix, en général et de façon assez juste, ils arrivent à déterminer un certains nombres de choses comme le sexe ou l’âge mais on ne peut pas tout déterminer à travers la voix, il reste une grande part de mystère, heureusement. 

Lia : Je rebondis sur le genre de la voix, il y a une quinzaine d'années, une amie, qui à l'époque était en transition, avait consulté un coach de la voix afin de rendre son timbre plus féminin, même si les hormones favorisent déjà la transformation. 

Elizabeth : Oui, j’ai rencontré beaucoup de patients en transition, généralement envoyés par des psychiatres. Je travaille avec des orthophonistes avec qui on arrive à jouer avec les fréquences et les harmoniques aiguës ou graves selon la transition désirée. 

Lia : Quel est le plus délicat, de passer du grave à l'aigu ou l’inverse ?

Elizabeth : Tout dépend de la voix d’origine, c’est toujours plus évident de partir d’une voix médium pour atteindre l'aigu ou le grave. Mais dans le cas d’une transition, la prise d’hormones à une influence certaine. 

Lia : Ça me fait penser au fait que lorsque l’on parle une autre langue souvent notre voix se modifie, on trouve une autre voix si j’ose dire ?

Elizabeth : En partie car les langues ont des gammes fréquentielles différentes, l’anglais est plus aigu que le français et curieusement l’anglais et le mandarin ont beaucoup de similitudes phonétiques.

Lia : Quand je pense aux VF, aux comédiens qui prêtent leur voix pour une adaptation, je trouve ça dingue. La voix devient identifiable à un autre personnage, finalement les voix off restent à l’ombre. 

Elizabeth : J’avais rencontré le comédien qui a prêté sa voix à Colombo. Il m’avait raconté que ça l’avait empêché de jouer d’autres rôles, la voix étant tellement identifiée à Colombo. Dans un autre ordre d’idées, je fais des conférences sur la voix et le trac, notamment. Cette année, lors du festival d’animation de Port Leucate, nous avons abordé un autre problème de société, un problème contemporain qui touche le doublage, entre autres, c’est l’Intelligence Artificielle. Maintenant, vous pouvez parler dans une langue et traduire dans une autre langue grâce à l’IA, avec une justesse phonétique troublante. Les machines ont un QI, quotient intellectuel, extrêmement important, il suffit de les entraîner dans un domaine particulier et elles peuvent devenir plus performantes que l’être humain. Pour l’instant, les machines n’ont pas de QE, quotient émotionnel, et j’espère qu’on n’y parviendra pas. 

Lia : Donc, si je comprends bien, sans quotient émotionnel, l’intonation de la voix ne peut être aussi exacte, aussi fidèle aux humeurs et à l’état émotionnel que l’on souhaite transmettre ?

Elizabeth : C’est complexe, en parlant avec d’autres professionnels, on constate que les machines peuvent apprendre les intonations de la voix, retranscrire la colère, la tristesse, il n’y aura peut-être moins de nuances mais je crains que l’IA ne soit déjà très avancée. 

Lia : C’est effrayant mais j’ose croire que sans âme, ça change tout…

Elizabeth : Une machine restera toujours une machine, certes si on la nourrit, elle augmente ses capacités, ses performances mais l’être humain est un être tellement sophistiqué que l’on arrivera pas à le reproduire complètement, totalement, essentiellement. Enfin, j’espère. Il faut vivre d’espoir ! 

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