conversation
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CAROLYN CARLSON
chorégraphe, danseuse, poète.
Figure de proue de la danse contemporaine, Carolyn Carlson déploie une poésie visuelle teintée de philosophie et de spiritualité. Les corps en mouvement, les corps dans l’espace, les mouvements des mains deviennent des métaphores qui s’articulent au fil de sa carrière vertigineuse.
À l’origine d’une centaine de pièces de Blue Lady à The Tree, Carolyn a également développé un travail de calligraphie et d’écritures poétiques.
Avec Carolyn, nous nous sommes retrouvées chez elle où nous avons parlé d’Alwin Nikolaïs, d’improvisations, d’énergies collectives, du mouvement perpétuel, du langage des mains et de poésie visuelle.
Entre autres.
Lia : Vous abordez la danse comme une poésie visuelle. Les mouvements dans l'espace semblent constituer tout un vocabulaire.
Carolyn : Tout commence avec la poésie ! Dans ma vie, j'ai eu la chance de vivre beaucoup de synchronicités. J'avais débuté par la danse classique mais ce n'était pas vraiment pour moi et quand j'ai rencontré Alwin Nikolais dans les années 60 à New-York, il m'a ouvert une porte qui est toujours restée ouverte. Il travaillait avec le temps, l'espace, la forme et le mouvement perpétuel. À l'université, j'avais étudié la poésie et la philosophie et au même moment, j'ai découvert le bouddhisme zen et la calligraphie, tout est arrivé en même temps, tout s'est révélé. Je suis une hippie ! (rires)
Lia : Au fil de vos pièces chorégraphiques, les gestes semblent libérés de toutes contraintes. Selon vous, l’improvisation est synonyme de liberté ?
Carolyn: C'est fondamental ! Avec Nikolaï, le principe était l'improvisation comme en poésie ou en musique. Chacun trouve son style, pour moi, c'était une révélation. On partait de la technique à l'improvisation en passant par la composition. C'est un processus poétique. Mes pièces proposent des images métaphoriques. On a vraiment besoin de poésie quand on voit l’état du monde aujourd'hui…
Lia : Oui, plus que jamais, la poésie nous aide à percevoir l'invisible. La danse, à travers les mouvements du corps, nous ouvre d'autres perceptions spatio-temporelles et de nouvelles perspectives, notamment en termes d'énergie collective.
Carolyn : Absolument. J'ai fait mille solos mais quand je travaille avec la compagnie, c'est vraiment incroyable l'énergie collective qui surgit dans l'improvisation. Comme disait Pina Bausch "Je ne m'intéresse pas tant à la façon dont les gens bougent qu'à ce qui les remue profondément."
Lia : L'improvisation ouvre un espace de liberté. La vie est ainsi, on ne peut pas tout maitriser, c'est ce qui la rend surprenante.
Carolyn : Tout commence à zéro à partir d'une idée. Par exemple, la pièce The Tree, parle de l'écologie, des feux de forêts, des inondations et de la nature humaine... Sara porte une longue robe blanche, elle a de longs cheveux et avec le ventilateur sur scène, elle incarne le vent, le son représente le feu.
Lia : C'est très métaphorique !
Carolyn : Je ne raconte pas d'histoires comme en poésie, tout est ouvert. Souvent, les personnes me disent qu'elles n'ont pas tout compris mais que ça réveille leur imagination, ça ouvre des perceptions.
Lia : En effet, face à la création, ce n'est pas nécessaire de tout comprendre.
Carolyn : On vit dans un cadre mais avec mon travail, je propose de sortir du cadre. Quand je vais à des expositions, je n'ai pas envie de lire les textes, We see what we see! Je préfère ressentir. Il faut sortir de l'intellect.
Lia : Votre pièce Blue Lady aborde différents stades féminins, à travers les âges.
Carolyn : Oui, je l'ai imaginée après la naissance de mon fils aîné. Il est né à Venise, entouré d'eau, hors du temps. Quand je l'ai vu, j'ai pris conscience que c'est un être qui allait mourir un jour. Et là, j'ai réfléchi à mon passé, aux saisons, à la vie. Ce n'est pas triste mais ça fait partie de l'existence.
Lia : Oui, c'est troublant de réaliser que lorsque l'on donne la vie, fatalement la mort surgira un jour.
Carolyn : Avant la naissance de mon fils, j'étais pleinement dans le travail et quand il est né, je suis devenue responsable de lui, de son avenir. Maintenant, on travaille ensemble, il fait de la musique avec moi.
Lia : L'une de vos signatures si j'ose dire, ce sont les mouvements de mains.
Carolyn : Le langage des mains, c'est universel ! Les prières, les points serrés, le signe de la paix... On communique énormément avec les mains, plus qu'avec les pieds ou les jambes en l’air ! (rires)
Lia : Un langage silencieux...
Carolyn : Un retour à l’essentiel… Le silence est essentiel pour être dans l'instant présent. On perd le sens du silence. Les gens sont de plus en plus sur les téléphones...
Lia : Oui, sans doute pour camoufler une peur du vide, de l'attente. On passe le temps.
Carolyn : J'adore regarder les personnes, essayer de percevoir qui elles sont, voir leur aura. C'est tellement important de voir autour de soi, de voir en soi, d'apprécier le silence. En danse, c'est essentiel de trouver le calme intérieur pour partager les énergies. Avec ma compagnie, on travaille beaucoup sur la générosité et le partage des énergies, c'est invisible et pourtant ça circule autant que les mouvements.
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