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PIERō

créateur de Maison Pierō et membre du groupe Catastrophe

C’est grâce à Threads que j’ai découvert l’univers de Maison Pierō, entre musique, poésie et performance. Puis sur Instagram et enfin, en vrai, lors du premier concert Maison Pierō à la Nouvelle Ève où nous sommes allées avec Liv, ma fille.

Lors de cette soirée intimiste dans un cabaret hors du temps, une lumière lunaire éclairait le rideau en velours bleu, lui, d’abord seul sur scène, visage auréolé, sa voix douce résonnait. Puis, le rideau s’est ouvert et des invités surprises ont été dévoilé comme dans un rêve éveillé.

Retour à la réalité. Avec Pierō, nous nous avions prévu de nous retrouver au jardin des Tuileries mais la météo a changé notre programme, alors on a improvisé. Retrouvailles à la librairie Galignani puis au bar tabac le Jean Nicot. Nous avons parlé de la manière dont nous composons avec les inspirations, de créations nocturnes, du trac sur scène, de respirations et d’émotions…

Entre autres.

Lia : Maison Pierō s'articule autour de collections, de saisons, comme dans le système de la mode. Peux tu me raconter la genèse du concept ?

Pierō : Maison Pierō, c’est un rythme de publications de mes musiques, scandé par les saisons. Printemps-Été ; Automne-Hiver. J'avais envie, à chaque nouvelle collection, d'explorer un thème, un territoire, certaines couleurs, de présenter un petit monde. Ce que j'aime dans la mode, c'est cette idée de se saisir d'un motif ou un thème et de l'épuiser. Ça peut être un personnage, un pan de l'histoire, un film... Créativement, c'est une bonne béquille. La mode est infusée d'autres art. J'ai l'impression que c'est une porte d'entrée vers d'autres disciplines : les arts visuels, le cinéma. Il y a aussi un lien avec le passé que je trouve moins dans la musique. 

Lia : Je n'y avais jamais réfléchi en ce sens, mais en effet, la mode s'inspire du passé et ne cherche pas à camoufler les références, les inspirations sont assumées. 

Pierō : C'est très libre. Il y a cette idée de prendre plusieurs références et de les juxtaposer, pour obtenir une réaction chimique.

Lia : Comme un cadavre-exquis ?

Pierō : Ou une mosaïque ! On peut prendre des références de plusieurs époques et avoir un rendu très moderne. Je suis en train de lire un livre sur John Galliano et Alexander Mc Queen, dans les premières collections de Galliano, il y a eu un effet de liberté, de modernité et de fraîcheur pourtant il avait puisé ses références au XVIIIe siècle dans le mouvement des Incroyables et Merveilleuses. C'était un mouvement de mode post-terreur, après 1793. Les aristocrates s'habillaient de manière fantaisiste et subversive. Quand on met en résonance deux références, ça peut créer une réaction presque chimique qui fait qu'il se passe quelque chose. C'est ce que tu fais à travers le collage. 

Lia : Oui, pour moi, tout est collage. On passe notre temps à assembler, composer avec tout ce qu'on a assimilé.

Pierō : J'aime bien l'idée d'aborder les choses de manière fragmentaire. On est réduit à saisir des images ci et là et à bricoler avec. Avant, je pensais un jour, à force de travail, acquérir un socle de culture générale, dont j'aurais pu faire le tour, dont j'aurais été fort. Mais ce jour n'est jamais arrivé. Aujourd'hui, j'ai accepté que je ne pourrais jamais tout connaître, et que je resterai toujours, à un certain degré, aux yeux des uns et des autres, inculte. Je m'intéresse donc d'abord à ce qui m'enthousiasme, à un détail, à ce qui déclenche en moi une émotion. J'aimerais retenir ces choses et les assembler par fragments. Si on est attentif à ce qui nous émeut, si on saisit ces petits riens, et qu'on les agence, si on réunit tout ça, des passages de films, des phrases, on peut en faire une mosaïque. Je préfère que ma culture ressemble à un kaléidoscope plutôt qu'à une encyclopédie.   

Lia : Oui, la manière dont on compose avec les différentes sources d'inspirations est très personnelle, personne n'assimile les informations de la même façon. 

Pierō : La mémoire et la sensibilité de chacun crée une sorte de plaque sensorielle unique. On reçoit et catalyse de manière unique. 

Lia : À la nouvelle Ève où tu as présenté Maison Pierō pour la première fois en dehors des réseaux, le thème était La Nuit Blanche. 

Pierō : Oui, autour des insomnies, un thème qui est présent dans mon rapport à la musique. La nuit offre une liberté. 

Lia : Avant de lancer Maison Pierō, tu faisais déjà partie du groupe Catastrophe. Depuis quelques années, tu fais partie d'une créativité collective et, désormais, tu développes une créativité plus personnelle. Était-ce un besoin de se recentrer ? De trouver un équilibre ? 

Pierō : Oui, ça m'apporte un équilibre. Catastrophe m'apporte une joie collective, beaucoup de rires. Dans un groupe, il y a ce rapport aux blagues, aux "délires" comme on dit, rugueux et joyeux. Quand je suis seul, le travail est plus austère, plus mélancolique, et ça se ressent dans la musique. Les deux choses n'ont presque rien à voir. 

Lia : Lors de ton concert à la Nouvelle Ève, tu as réussi à concilier les deux. Toi, seul en première partie et en seconde partie, des invités surprises. On ne s'y attendait pas, presque deux salles deux ambiances, c'était beau. 

Pierō : Oui ! Toute une mise en scène. C'était bien de faire ça. Il y a une solitude sur scène qui est décuplée par la présence du public, c'est vertigineux. 

Lia : Malgré la lumière aveuglante qui camoufle le public...?

Pierō : Très étrange comme sensation de noir absolu, comme un mur de néant face à moi, j'en avais le souffle coupé. Quelque chose d'aussi simple que de respirer devient compliqué sur scène. Je me suis rendu compte que même lorsque je joue du piano, inconsciemment je bloque ma respiration et pour réapprendre à respirer naturellement, ça prend énormément de temps.

Lia : Le trac, c'est asphyxiant.

Pierō : S'il n'y a pas de respiration, il n'y a pas d'émotions, les deux sont liées. Quand on est seul sur scène, c'est radical, comme quelque chose qu'il faut traverser, presque initiatique. Comme un rite de passage qui se fait dans la douleur mais qui est aussi très gratifiant, on a la certitude d'avoir été l'auteur de quelque chose, ça m'intéressait de délimiter ce territoire. Le besoin de solitude a été motivé par le besoin d'être l'auteur de quelque chose. 

Lia : Tu écris, tu poses tes mots, tes idées. Une pratique généralement solitaire qui finit par s'exposer face à un public, une mise à nu par la voix, par le corps. Ce qui est très différent des artistes plasticiens qui matérialisent la création et s'en détachent. 

Pierō : Oui, sur scène, on devient soi-même le véhicule de ce que l'on a créé. La musique sur une partition ou sur un disque dur ce n'est pas encore de la musique, il faut qu'elle soit propulsée dans l'air, dans les ondes pour qu'elle soit musique. C'est particulier de devoir projeter sa voix, il y a quelque chose de l'ordre de la magie. La musique, c'est presque de l'art abstrait, ce n'est pas figuratif. 

Lia : Oui, c'est insaisissable.

Pierō : Pour moi, il s’agit de dialoguer avec l'invisible, c'est de l'ordre de la spiritualité, du mystère. 

Lia : Le fait qu'il puisse encore surgir des mélodies nouvelles relève de la magie ! Pour moi, le téléphone est magique, le fait qu'on puisse communiquer d'un bout à l'autre de la planète instantanément, qu'on puisse envoyer des images instantanément !

Pierō : On vit dans un monde magique. Faire de la musique, c'est être face à un trou noir. On ne sait pas d'où ça vient. C'est ça qui est merveilleux, de pouvoir devenir un transistor, une radio, quelque chose pour transmettre un signal qui nous dépasse. Dans le processus créatif, quand les choses se mettent en place, c'est assez agréable de se déposséder de soi. C'est quelque chose que tu ressens dans ta pratique ?

Lia : Complètement, le moment décisif, quand l'œuvre devient indépendante de moi, quand elle se détache, c'est presque électrique comme un état de transe. Le collage nécessite un détachement par l'assemblage d'éléments disparates, on compose presque instinctivement, en mode automatique, je ne conscientise pas ce que je crée au moment de créer. 

Pierō : La création met en marche un processus, comme si on mettait du charbon dans la locomotive qui continue d'avancer malgré nous. J'aimerais beaucoup travailler la matérialité comme tu le fais : retrouver une joie d'enfant de découper des images avec du papier et des ciseaux. Avec les réseaux et la dématérialisation, on consomme énormément d'images. Même si on peut les stocker, on peut faire des captures d'écrans, j'ai une forme de frustration par rapport à ça. J'ai l'impression de passer à côté de quelque chose quand il n'y pas de matérialité. Alors, parfois je recopie les captures d'écrans en les dessinant. Si tu mets la luminosité de l'écran au maximum, tu poses une feuille dessus et tu peux décalquer. Ça me permet d'assimiler l'image et de la rentrer dans ma bibliothèque mentale.

Lia : Génial ! Mon sujet de mémoire était précisemment "De la capture d'écran à l'écran imprimé", ou comment le geste même de la capture permet d'imprimer dans notre cerveau une image enregistrée que l'on ne va pas forcément consulter par la suite. Et évidemment, en parallèle, le rapport au papier, à la matérialité. Bref, c'est un sujet qui me passionne.

Pierō : J'ai l'impression de trop laisser les choses défiler sous mes yeux sans les saisir. J'ai besoin de recevoir des images, les sélectionner comme face à un écran, de les agencer, les transformer comme ce que tu fais avec les collages. J'ai vraiment envie de créer une forme de Moodboard dessiné pour chaque collection, comme une œuvre, plus qu'une somme d'images collectées.  

Lia : C'est une idée brillante. Une manière de ne pas subir les informations et de les intégrer pleinement dans ton processus créatif. Tu fais pas mal de vidéos, de micro clips, ça permet aussi de dessiner ton univers visuellement. La mise en scène filmée, sans public, offre une autre liberté ?

Pierō : Je travaille avec un ami très cher, pas cher au sens économique mais cher dans mon coeur ! (rires) Il s'appelle Carol Teillard d'Eyry, il fait aussi partie de Catastrophe. On a une sensibilité visuelle très proche, on aime les mêmes choses. C'est un peu mon partenaire visuel. 

Lia : Chaque membre du groupe apporte son grain de sable par une créativité particulière. 

Pierō : Oui, chacun a un peu son pouvoir magique. Blandine écrit des livres, Arthur écrit des poèmes, Carol fait énormément de clips, en ce moment il fait un documentaire sur un tailleur de pierre qui s'appelle Délivrance. 

Lia : Vraiment ?

Pierō : Oui, c'est vraiment son prénom. Dans une tradition millénaire, les tailleurs de pierres laissent des messages entre les pierres. Régulièrement, les pierres des ponts sont changées et là on découvre des messages qui ont été laissés il y a 500 ans, ça peut être des ossements, des restes de pauses déjeuner... J'ai hâte que ça sorte. 

Lia : Le fait que vous ayez tous une créativité en dehors du groupe, un accomplissement personnel, permet d'être en harmonie en collectif ?

Pierō : Oui, la longévité d'un groupe, comme dans un couple, c'est d'avoir un territoire clair. Ça permet de se retrouver librement, sans amertume, sans frustration. Dans un groupe, il faut être dans l'abandon de soi, de son ego, sinon ça entrave le processus. Le fait qu'on ait chacun nos territoires, à me yeux, ça aide beaucoup."

www.maisonpiero.com

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